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SCHEURER-KESTNER


Henry porta ensuite, sans mot dire, la pièce à Gonse, qui l’enferma dans son armoire[1].

Il avait le génie du faux, mais, par malheur, tantôt par ignorance, tantôt parce qu’il mettait trop de hâte à réaliser ses rapides pensées, il compromettait par des négligences matérielles les plus étonnantes conceptions de son fertile esprit.

Ainsi, quand il eut gratté l’adresse du petit bleu, il oublia de détruire les clichés et les épreuves photographiques que Picquart en avait fait prendre par Lauth[2].

    carte qu’on laisse traîner, qui peut être ouverte par mes domestiques, par les concierges, par ma famille. »

  1. On a vu (p. 445) que Gonse ne se souvient pas si le petit bleu lui fut remis par Picquart au moment de son départ. Picquart dit qu’il le remit à Henry et pourquoi. Puis Gonse ajoute : « Mais j’ai la notion bien exacte que, peu de temps après le départ de Picquart, j’ai eu ce dossier dans mon armoire : je ne saurais dire si c’est Henry ou Picquart qui me l’a remis. » (Instr. Tavernier, 10 oct. 1898.) La filiation est donc bien établie. Et, comme Gonse précise que le petit bleu ne sortit de son armoire que pour être joint au dossier Esterhazy quand Billot, en novembre 1897, l’envoya à Pellieux, il en résulte que le grattage du petit bleu fut opéré par Henry dès 1896. Picquart Croit, au contraire, que ce fut en 1897, au moment où il reçut le télégramme Blanche : « On a la preuve que le bleu a été fabriqué par Georges. » (Rennes, I, 465.) Mais cette hypothèse ne résiste pas à la chronologie : la dépêche Blanche est, en effet, du 10 novembre, c’est-à-dire antérieure de cinq jours à la dénonciation d’Esterhazy par Mathieu Dreyfus et de sept jours à la désignation de Pellieux pour l’enquête. La dépêche Blanche est donc postérieure, évidemment, à la falsification de la carte télégramme.
  2. Rapport : pièces nos 6 et 7. — Instr. Tavernier, 12 octobre 1898, Lauth : « Toutes ces photographies proviennent du second essai que nous avons fait (Junck et Lauth). Quant aux clichés et tirages sur papier qui ont été faits les premiers, ils avaient été, en partie, donnés au colonel, d’autres ont dû rester entre nos mains ; mais, comme c’étaient des essais non réussis, je les détruisais au fur et à mesure. » — Cass., I, 147, Picquart : « Si Lauth m’a remis les premières épreuves, ce qui est possible, on doit les retrouver. J’ai remis au général Gonse toutes les pièces de mon enquête sur Esterhazy ; je n’ai rien détruit, pas même