Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
505
RENNES


moire des autres juges ; si « leur attention s’est surtout portée sur la pièce canaille de D… », c’est que l’initiale leur a paru s’appliquer « directement » à Dreyfus ; mais si on leur avait montré un texte « où le nom de Dreyfus était en toutes lettres et qui aurait constitué une charge accablante », il est certain « que cette pièce serait nettement restée dans leur esprit ». Tout cela se tenait, s’enchaînait, et telle fut la force de son offensive que l’idée ne vint à personne de réclamer le bordereau que Gribelin avait fait, en son temps, des pièces secrètes : on n’y eût pas trouvé la dépêche, mais pas davantage « la pièce des chemins de fer » que Mercier avait signalée comme l’une des plus décisives du dossier et qui était postérieure de quatre mois à la condamnation de Dreyfus[1]. Cette fois, enfin, la défense eût pu réclamer son arrestation comme faux témoin.

Au contraire, c’est lui qui triomphe, qui, par une merveilleuse ironie des choses, paraît incarner la vérité et la logique : « Ainsi, dit-il, le témoignage du capitaine Freystætter se dresse seul, absolument isolé devant vous, en contradiction avec tous les faits constatés, en opposition ou en contradiction avec tous les témoins. Mais ce n’est pas tout et vous allez le voir en contradiction avec lui-même. » Cet ami[2], qui recevait les confidences de Freystætter à l’époque où il croyait encore à la culpabilité de Dreyfus, avait livré sa lettre à Mercier ; or, il n’y était pas fait mention de la dépêche de Panizzardi : « Ce que je puis vous dire, écrivait en effet Freystætter, c’est que ma conviction était formée avant d’entrer dans la salle des délibérations. » Et, par la suite, jusqu’à Rennes, toujours pas un mot de

  1. Voir p. 329.
  2. Frédéric Garcin. (Voir p. 57.)