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LA REVISION

Cinq ans de ministère, une popularité bruyante dans les milieux radicaux et socialistes, la violence des partis de réaction, leurs injures et leurs calomnies savourées comme des éloges, avaient accru sa confiance en lui aux limites de l’infaillibilité. Il ne consultait personne, ni le Garde des Sceaux, dans les questions de Droit, ni Combes qui, absorbé dans sa lutte contre l’Église, ne voyait rien en dehors. Par contre, des subordonnés le menaient, à son insu, le poussaient, au besoin agissaient de leur propre chef, trouvant « le patron » trop mou[1].

L’arrestation des officiers de l’ancien bureau des Renseignements surprit, puis inquiéta l’opinion. Ni Rollin, convaincu d’avoir menti à Rennes[2], ni Mareschal et François, instigateurs de la machination qui avait abouti à la démission de Galliffet, n’intéressaient ; Dautriche, qui donna son nom à l’affaire, était jusqu’alors inconnu et, manifestement, un comparse ; surtout, cette histoire de comptabilité altérée restait obscure et impropre à passionner les esprits. Mais, d’autre part, c’était l’évidence que l’amnistie couvrait les officiers poursuivis ; ainsi c’était une nouvelle comédie de justice qui se jouait, et sans profit pour personne, hors les amateurs de scandales militaires, les amis d’Hervé dont l’audace croissait et la contagion s’étendait.

Cette parodie de justice s’accompagna, du fait d’André, d’incidents fâcheux ; en juin, mise au secret de Dautriche pendant vingt jours et refus d’autoriser sa femme à lui rendre visite[3] ; en juillet, quand le gou-

  1. André, Cinq ans de Ministère, 325 : « On disait volontiers autour de moi : Il est heureux que nous soyons là pour pousser le patron ; sans nous, il ne marcherait guère. »
  2. Voir p. 254.
  3. Il fallut qu’Auffray, avocat de l’archiviste, saisit l’opinion