IV.
Car les Maures eux-mêmes n’ont pas été tellement dominés par l’amour de leur jargon local, qu’ils aient tenu à le consacrer. Leur prononciation particulière du gaïn, — cette prononciation incorrecte et grossière, dont il a si drôlement pris fantaisie à notre armée d’Afrique de s’amouracher, — ils ne l’observent pas toujours, voire chez eux. Encore moins l’ont ils portée ailleurs, fût-ce quand ils ont dominé au dehors.
Ils ne l’observent pas toujours chez eux, dîs-je ; et pour n’en citer qu’une preuve, mon cher ami, il suffit de ce mot غُرْفَة, usité encore à Fez pour designer une chambre de l’étage supérieur, terme qui se prononce ghorfa et non rorfa, et qui pourtant s’écrit par un غ[1].
Un autre exemple, c’est le nom d’El-Aghouât, الاغوات. Dans la bouche des gens du pays, il ressemble si peu à El-Arouât, que tout au contraire, de l’aveu d’un savant professeur (lequel a la bonté de s’en choquer), il sonnerait plutôt El-Akouât. Or il n’y a pas là de quoi se scandaliser ; car, au fond, qu’est-ce que le k ? C’est l’épuration, c’est l’exagération du g, — par conséquent sa garantie contre la dégénérescente, qui voudrait le transformer en r. Eh bien ! puisqu’il est constaté que le vrai nom de la ville en question, que son articulation locale, traditionnelle, bérébère, est El-Agouât et presque El-Akouât, cela montre que les Maures eux-mêmes, qui ont jadis copié ce mot par الاغوات, ne regardaient pas du tout comme essentielle à leur غ cette nuance du r que l’on veut si ardemment y faire dominer aujourd’hui.
D’ailleurs, c’était bien un Barbaresque par excellence, on en conviendra, que le belliqueux يَغْمُور اسن, roi de Tlemcen ; or, comment articulait-il le gaïn de son nom ?
Nous l’apprenons (indirectement il est vrai, mais avec certitude) par la race européenne voisine, qui fut sa contemporaine. Quand les chroniqueurs castillans font mention de
- ↑ Lettre de M. Delaporte, consul de France à Tanger.