Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/159

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rent cette succession de coups terribles, et qui ne saisissent aucun signe de faiblesse ou de fatigue chez les chevaliers, les proclament les deux meilleurs guerriers qui soient au monde. Il leur semble que, s’ils n’avaient pas une force plus qu’ordinaire, ils devraient être morts rien que de fatigue.

Marphise, réfléchissant, se disait à elle-même : « Il a été heureux pour moi que celui-ci ne se soit pas mis plus tôt de la partie ; car, s’il avait été tout d’abord avec ses compagnons, je courais le risque d’être tuée, puisque j’ai peine, maintenant qu’il est seul, à résister à ses coups. » Ainsi disait Marphise, sans discontinuer toutefois de faire tournoyer son épée.

« Il a été heureux pour moi — disait de son côté son adversaire — que je n’aie pas laissé celui-ci se reposer. C’est à grand’peine que je puis m’en défendre, maintenant qu’il est fatigué de la première lutte. Qu’aurait-ce été, s’il avait pu reprendre toute sa force, en se reposant jusqu’à demain ? J’ai été aussi heureux qu’on peut l’être, qu’il n’ait pas voulu accepter ce que je lui offrais. »

La bataille dura jusqu’au soir, sans que l’on pût déclarer lequel des deux avait l’avantage. L’obscurité ne leur aurait pas permis de continuer la lutte. La nuit venue, le chevalier fut le premier à dire courtoisement à l’illustre guerrière : « Que faire, puisque la nuit importune nous a surpris avec des chances égales ? « Il me semble que le meilleur est de prolonger ton existence au moins jusqu’à ce qu’il fasse jour.