Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/172

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parla, comme de la chose la plus rare qui fût au monde, à Alexandra, fille d’Orontée, laquelle, quoique courbée sous le nombre des années, vivait encore.

« Orontée vivait encore. Toutes celles qui étaient arrivées en ce pays avec elle étaient mortes ; mais d’autres étaient nées, et en si grand nombre, que pour chaque dizaine il n’y avait pas même un mari ; d’autant plus que les dix chevaliers avaient soin de faire aux arrivants une rude réception.

« Alexandra, désireuse de voir le jouvenceau qu’on lui avait tant vanté, obtint de sa mère, à force de prières, de voir et d’entendre Elban. Quand elle le quitta, elle sentit, à l’oppression qui l’étouffait, qu’elle lui laissait son cœur. Elle se sentit lier sans même essayer de résister, et se trouva prise par son propre prisonnier.

« Elban lui dit : « Femme, si la pitié qui règne dans les autres contrées que le soleil dans sa course vagabonde éclaire et colore avait encore quelque pouvoir ici, j’oserais, au nom de la beauté de votre âme dont tout cœur sensible doit s’énamourer, vous demander de me conserver une vie que je serais prêt à répandre ensuite à chaque instant pour vous.

« Mais, puisqu’on ces lieux les cœurs humains sont fermés à la pitié hors de toute raison, je ne vous demande pas de me laisser la vie. Je sais bien que mes prières seraient vaines. Je vous demande seulement la faveur de mourir les