Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui dit-elle, a été porté par la main d’une jeune fille.

« Par sa vaillance, celle-ci peut disputer avec avantage l’écu et la lance à tous les chevaliers. Elle est depuis peu venue d’Orient pour se mesurer avec les paladins de France. » Zerbin éprouve de cela une telle vergogne, qu’il devient plus rouge que la garance, et qu’il est près de teindre de son propre sang les armes qu’il a sur le dos.

Il remonte à cheval, s’accusant lui-même de n’avoir pas su serrer les cuisses. La vieille sourit à part, et prend plaisir à l’exciter et à irriter son chagrin. Elle lui rappelle qu’il doit venir avec elle, et Zerbin, qui reconnaît qu’il s’y est obligé, baisse l’oreille comme un destrier dompté et las qui a le frein à la bouche et les éperons au flanc.

Et soupirant : « Hélas ! — disait-il — ô fortune félone, quel échange tu te plais à faire ! celle qui est la belle des belles, et qui devrait être près de moi, tu me l’as enlevée. Crois-tu que celle que tu me donnes maintenant puisse lui être comparée et m’en tenir lieu ? Être privé complètement de compagne était un moindre mal qu’un échange si inégal.

« Celle qui n’a jamais eu et n’aura jamais sa pareille en beauté et en vertu gît submergée et brisée au milieu des rochers aigus, et tu l’as donnée en pâture aux poissons et aux oiseaux de mer ; et celle-ci, dont les vers auraient déjà dû se repaître sous terre, tu l’as conservée dix ou vingt ans de plus que tu ne devais, pour rendre mes maux plus poignants. »

Ainsi parlait Zerbin, et il ne paraissait pas