Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/272

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Alors il se lève précipitamment de cette couche odieuse, comme le paysan qui s’était étendu sur l’herbe pour dormir et qui voit un serpent à ses côtés.

Ce lit, cette maison, ce pasteur lui deviennent soudain si odieux, que, sans attendre le lever de la lune ou celui de l’aurore avant-courrière du jour, il prend ses armes et son destrier, et s’enfonce dans la partie du bois la plus obscure. Puis, quand il croit être bien seul, il ouvre les portes à sa douleur par des cris et des hurlements.

Il ne cesse de verser des pleurs, il ne cesse de pousser des cris ; il ne goûte de repos ni la nuit ni le jour ; il fuit les bourgs et les cités, couchant à découvert, en pleine forêt, sur la terre nue. Il s’étonne d’avoir dans la tête une source de larmes si vivace, et qu’il puisse pousser tant de soupirs. Souvent il se dit, à travers ses sanglots :

« Ce ne sont plus des larmes que mes yeux répandent avec tant d’abondance ; les larmes n’auraient pu suffire à ma douleur ; elles ont cessé de couler alors que ma peine n’était pas même à la moitié de sa course. Maintenant, chassé par le feu qui me dévore, c’est le principe même de la vie qui s’enfuit et se fraye un chemin à travers mes yeux. C’est là ce que mes yeux répandent ; c’est là ce qui me débarrassera enfin, tout à la fois, de la douleur et de la vie.

« Ce ne sont point des soupirs par lesquels s’exhalent mes souffrances ; les soupirs ne sont pas de cette nature ; ils s’arrêtent parfois, et je ne sens pas que la peine s’exhale moins de ma poitrine.