Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/311

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« — Il y a quelque temps, ma sœur, passant dans les bois d’alentour, fut blessée par une troupe de Sarrasins qui la surprit sans son casque qu’elle avait déposé sur la route. On fut obligé de lui couper ses longs cheveux, pour la guérir d’une cruelle blessure qu’elle avait reçue à la tête. Depuis cette époque, elle errait par la forêt, les cheveux ainsi coupés courts.

« Elle arriva un jour près d’une fontaine ombreuse. Se trouvant fatiguée, elle descendit de cheval, délaça son casque et s’endormit sur l’herbe tendre. Je ne crois pas, en vérité, qu’on puisse inventer une fable aussi intéressante que cette histoire véridique. Soudain arriva Fleur d’Ëpine, dame d’Espagne, qui était venue pour chasser dans le bois.

« En voyant ma sœur revêtue entièrement de son armure, excepté le visage, et portant l’épée en guise de quenouille, elle la prit pour un chevalier. À force de considérer sa figure et ses grâces viriles, elle s’en sentit le cœur épris. Elle l’invita à la suivre à la chasse, et parvint à l’attirer loin de ses compagnons, dans l’endroit le plus touffu.

« Seule avec elle en ce lieu solitaire où elle ne craint pas d’être surprise, elle lui découvre peu à peu, par ses gestes et ses paroles, la blessure dont son cœur est atteint. Ses yeux ardents et ses soupirs enflammés montrent son âme consumée de désir. Tantôt son visage pâlit ; tantôt il.se colore d’une vive rougeur ; enfin elle se hasarde à prendre un baiser.