Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/86

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qui se trouvait pleine de monde. On lui avait enlevé son casque et sa cuirasse, on l’avait laissé par dérision en chemise, et comme si on le conduisait à la boucherie, on l’avait mis sur un char élevé, traîné lentement par deux vaches exténuées par un long jeûne et par la fatigue.

Tout autour de l’ignoble attelage, les vieilles hideuses et les putains éhontées accouraient, guidant tour à tour la marche du cortège, et criblant le malheureux de leurs sarcasmes mordants. Les petits enfants montraient encore plus d’acharnement, car outre les paroles brutales et infamantes qu’ils lui adressaient, ils l’auraient tué à coups de pierres, si des gens plus sages ne l’avaient défendu.

Les armes qui avaient causé la méprise dont il était victime, attachées derrière le char, traînaient dans la fange, et c’était pour elles un supplice mérité. Le char s’étant arrêté devant un tribunal, Griffon s’entendit reprocher comme sienne l’ignominie d’un autre, et vit sous ses yeux le crieur public l’annoncer en tous lieux.

Puis on l’exposa aux portes des temples, des maisons, où on ne lui épargna aucune des plus honteuses, des plus viles qualifications. Enfin la foule le conduisit hors de la ville, dont il fut banni et chassé ignominieusement au milieu des huées, car on était loin de savoir qui il était.

Sitôt qu’on lui eut délié les pieds et les mains, il saisit l’écu, il empoigna l’épée, avec laquelle il arrosa longuement la terre. Il n’avait devant lui