Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 2.djvu/96

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le cœur de Rodomont, froide comme un aspic, et l’enlace tout entier. Le nain continue, et lui raconte comment un seul chevalier lui a pris sa dame, après avoir occis ses serviteurs.

La Discorde prend alors un morceau d’acier et un caillou ; elle les frappe légèrement l’un contre l’autre, l’Orgueil place au-dessus une amorce, et en un instant, le feu s’y attache. L’âme du Sarrasin en est tellement embrasée qu’elle en est envahie. Il soupire, il frémit ; sa face horrible menace le ciel et les éléments.

Lorsque la tigresse, après être redescendue dans son antre, et avoir en vain cherché partout, comprend enfin qu’on lui a enlevé ses chers petits, elle s’enflamme d’une telle colère, d’une telle rage, elle éclate d’une fureur telle, qu’elle franchit sans y prendre garde les monts et les fleuves. La nuit, la tempête, la longueur du chemin parcouru, rien ne peut apaiser la haine qui la pousse sur les traces du ravisseur.

Tel, dans sa fureur, est le Sarrasin ; il se tourne vers le nain et dit : « Maintenant, suis-moi. » Et sans s’inquiéter d’un destrier ou d’un char, sans plus rien dire à son compagnon, il part. Il va, plus prompt que le lézard qui traverse la route sous un ciel ardent. Il n’a point de destrier, mais il prendra de force le premier qu’il rencontrera, n’importe à qui il appartienne.

La Discorde, qui devine cette pensée, regarde en riant l’Orgueil, et lui dit qu’elle lui destine un destrier qui amènera d’autres contestations, d’autres