Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/151

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jusque sur les lèvres de Renaud, prêt à renouveler sa demande ; mais la courtoisie l’arrêtait aussitôt et ne lui permettait pas de la laisser sortir au dehors. Soudain, le repas terminé, un jeune page, averti par le majordome, plaça sur la table une belle coupe d’or fin, ornée à l’extérieur de pierres précieuses, et remplie de vin.

Le châtelain se mit alors à sourire, et leva les yeux sur Renaud ; mais à qui l’aurait bien examiné, il eût fait l’effet de quelqu’un plus disposé à pleurer qu’à rire. Il dit : « Le moment me semble venu de satisfaire ta curiosité, et de te montrer un chef-d’œuvre qui doit être précieux pour quiconque a femme à son côté.

« À mon avis, chaque mari doit sans cesse épier sa femme pour savoir si elle l’aime, si elle lui fait honneur par sa conduite, ou si elle le déshonore ; si, en un mot elle en fait une bête, ou si elle le traite comme un homme. Le poids des cornes est le plus léger qui soit au monde, bien que le plus outrageant. Presque tous les autres le voient, celui-là seul qui l’a sur la tête ne le sent jamais.

« Si tu sais que ta femme est fidèle, tu as un motif pour l’aimer et l’honorer davantage ; il n’en est pas de même de celui qui sait que sa femme est coupable, ou de celui qui doute d’elle et qui souffre de ce doute. Beaucoup de femmes, chastes et vertueuses, sont soupçonnées à tort par leurs maris. Beaucoup de maris, au contraire, sont dans la plus grande confiance à l’endroit de leurs épouses, qui vont le chef orné de cornes.