Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/163

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feu, son cœur s’amollit peu à peu. D’un ton bref et saccadé, que je ne puis me rappeler sans sentir la vie m’abandonner, elle me dit qu’elle satisferait à mes désirs, si elle croyait que personne ne le saurait jamais.

« Cette réponse fut comme un trait empoisonné dont je me sentis l’âme transpercée ; je sentis un froid glacial se répandre dans mes veines, et pénétrer jusqu’au fond de mes os. Ma voix hésita dans ma gorge. Levant alors le voile de l’enchantement, Mélisse me rendit ma forme première. Pense de quelle couleur dut devenir ma femme, en se trouvant surprise par moi en une faute si grande !

« Nous devînmes tous deux couleur de la mort ; tous deux nous restions les yeux baissés. Ma langue était tellement paralysée, que c’est à peine si je pus crier : " Femme, tu me trahirais donc, si tu trouvais quelqu’un pour acheter mon honneur ? " Elle ne put me faire d’autre réponse que d’inonder ses joues de larmes.

« Elle avait beaucoup de honte, mais encore plus de dépit de voir que je lui avais fait un tel affront. Le dépit, montant bientôt jusqu’à la rage, ne tarda pas à se changer en haine profonde. Aussitôt elle prend la résolution de fuir loin de moi, et, à l’heure où le soleil descend de son char, elle court au fleuve et, se jetant dans une barque, elle en descend le cours pendant toute la nuit.

« Le matin, elle se présente devant le chevalier qui l’avait autrefois aimée, et dont j’avais emprunté le visage et la ressemblance pour la tenter. Le che-