Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/164

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valier l’aimait toujours, et tu peux croire si son arrivée lui fut agréable. De là, elle me fit dire que je ne devais plus espérer qu’elle m’appartînt, ni qu’elle m’aimât jamais plus.

« Hélas ! depuis ce jour elle demeure avec lui, vivant dans les plaisirs, et se raillant de moi ; et moi je languis encore du mal que je me suis fait à moi-même, et je ne puis rester en place. Mon mal croît sans cesse, et il est juste que j’en meure. Il y a, du reste, peu à faire pour cela. Je crois bien que je serais mort avant la fin de la première année, si une chose ne m’apportait quelque consolation.

« Cette consolation, la voici : parmi tous ceux qui se sont assis sous mon toit depuis dix ans — et je leur ai présenté la coupe à tous — il n’en est pas un dont la poitrine n’ait été inondée. C’est pour moi une sorte de soulagement que d’avoir tant de compagnons dans mon infortune. Toi seul, parmi tant d’autres, tu t’es montré sage, en refusant de faire la périlleuse expérience.

« Quant à moi, pour avoir voulu en savoir plus qu’on n’en doit chercher à savoir au sujet de sa femme, j’ai perdu le repos pour toute ma vie, longue ou courte. Tout d’abord Mélisse se réjouit de l’aventure, mais sa joie fut de peu de durée. Comme elle était la cause de mon malheur, je la pris en une telle haine, que je ne pouvais plus la voir.

« Elle avait cru prendre auprès de moi la place de ma femme, une fois que celle-ci serait partie,