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Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/218

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de me traiter d’ennemi, et de ne plus vouloir être ma femme ? Que dois-je donc faire ? Dois-je souffrir ce mariage ? Ah ! non, par Dieu ! plutôt mourir !

« Mais je ne veux pas mourir ; il est bien plus juste que ce soit ce Léon qui meure, lui qui est venu troubler toute ma joie. Je veux qu’il meure, lui et son injuste père. La belle Hélène n’aura pas coûté autant à son amant troyen, ni Proserpine à Pirithoüs, que mon ressentiment ne coûtera au père et au fils.

« Est-il possible, ô ma vie, qu’il ne t’en coûte rien d’abandonner ton Roger pour ce Grec ? Ton père pourra-t-il te décider à l’accepter, même quand il aurait tous tes frères pour lui ? Mais je tremble que tu préfères contenter Aymon plutôt que moi, et qu’il te paraisse plus agréable d’avoir un César pour mari, qu’un simple chevalier.

« Quoi ! il serait possible qu’un nom royal, qu’un titre d’impératrice, que la grandeur et la pompe des cours en vinssent à corrompre assez l’âme élevée, la grande vaillance, la haute vertu de ma Bradamante, pour que j’aie à craindre qu’elle manque à sa promesse, à sa foi donnée ? Hésiterait-elle à rompre avec Aymon, plutôt que de démentir ce qu’elle m’a juré ? »

Roger se parlait ainsi souvent à lui-même, et parfois il parlait assez haut pour que ses paroles fussent entendues par ceux qui passaient près de lui. De sorte que plus d’une fois elles furent rapportées à celle pour qui il souffrait si cruellement,