Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/219

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et Bradamante ne souffrait pas moins de l’entendre ainsi se plaindre, que de ses propres tourments.

Mais ce qui l’afflige encore plus que la douleur de Roger, c’est d’apprendre les craintes qu’il a d’être abandonné par elle pour ce prince grec. Afin de le réconforter, et pour lui enlever cette erreur de l’esprit, elle lui fait transmettre ces paroles par une de ses fidèles suivantes :

« Roger, telle j’ai toujours été, telle je veux être jusqu’à la mort et au delà, s’il est possible. Qu’Amour me soit favorable ou ennemi, que la Fortune m’élève ou m’abaisse sur sa roue, ma fidélité sera comme l’écueil battu de tous côtés par les vents et la mer ; jamais la bonace ou la tempête ne pourront l’ébranler ; elle restera éternellement debout.

« Le ciseau de plomb ou la lime pourront tailler le diamant en formes variées, avant que les coups de la Fortune, ou que la colère de l’Amour, aient dompté mon cœur constant, et l’on verra les fleuves troublés et bruyants remonter vers leur source au sommet des Alpes, avant que mes pensées, quoi qu’il arrive de bon ou de mauvais, aient changé de direction.

« C’est à vous, Roger, que j’ai donné le souverain empire sur mon âme, et cet empire est plus fort qu’on ne croit. Quant à moi, je sais bien que jamais foi plus sincère ne fut jurée à l’avènement d’un prince ; je sais bien que roi ni empereur au monde ne peut compter sur une plus grande fidé-