Page:L’Arioste - Roland furieux, trad. Reynard, 1880, volume 4.djvu/81

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Tous ceux qui furent témoins des incendies, des naufrages, des massacres multiples que vous fîtes éprouver à la flotte ennemie, jusqu’à ce que le dernier vaisseau fût pris, digne vengeance de nos palais brûlés, pourront s’imaginer les pertes et le désastre essuyés par la malheureuse armée d’Agramant, assaillie en pleine mer par Dudon, pendant une nuit obscure.

Il était nuit, et quand l’âpre bataille commença, c’est à peine si l’on pouvait distinguer les objets. Mais quand le soufre, la poix et le bitume, répandus à profusion, eurent allumé une flamme dévorante aux flancs des navires et des galères mal défendus, chacun voyait si clairement autour de lui, que la nuit parut changée en jour.

Agramant, trompé par l’obscurité, avait fait assez peu de cas de la flotte ennemie ; ne croyant pas avoir à faire à un si grand nombre de navires, il pensait pouvoir leur résister. Mais quand les ténèbres furent dissipées et qu’il vit — ce qu’il ne croyait pas tout d’abord — que les vaisseaux ennemis étaient deux fois plus nombreux que les siens, il changea bien vite d’avis.

Montant, avec des serviteurs dévoués, sur la barque la plus légère qu’on pût trouver, et dans laquelle il avait fait placer Bride-d’Or et ce qu’il avait de plus précieux, il se glissa silencieusement entre les navires, jusqu’à ce qu’il se trouvât en sûreté, loin des siens que Dudon continuait d’exterminer. Pendant que les malheureux étaient brûlés par le feu, engloutis dans les flots et détruits