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LA VIEILLE AUX POISSONS


L’été a fui. Quatre mois se sont écoulés.

Nous rentrerons en ville dans quelques jours.

Cet après-midi, Dearest et moi, enveloppés dans nos manteaux, sommes assis sur la galerie et nous goûtons la douceur des quelques moments où le soleil perce les nuages et attiédit un peu l’air.

Je lis à haute voix quelques contes d’un livre d’Henri Barbusse et je vois Dearest toute empoignée par ces dramatiques récits. Soudain, elle tourne la tête du côté de la remise. J’interromps ma lecture.

— Il y a une femme qui est entrée là et je me demande ce qu’elle cherche, dit-elle.

À ce moment, l’intruse sort du bâtiment. Après avoir regardé autour d’elle, elle se dirige vers nous.

C’est une vieille, très vieille femme, accompagnée d’un petit garçon qui porte un sac sous son bras.

Je les regarde s’approcher.

La vieille est effroyablement ridée. Tout sa figure, ses mains, son cou, sont couverts de rides. Tout ce qu’on voit de sa chair est labouré d’une multitude de longs et profonds sillons. Ses yeux sont ceux des miséreux. Elle donne l’impression de cent ans de travail, de malchance et de peines.

La vieille est arrivée à nous. Elle a un peu l’air d’un singe. Elle ouvre une bouche édentée, aux chicots noirs, gâtés, et d’une voix lente, traînante, elle nous informe qu’elle a du poisson à vendre. Elle nous demande si nous n’en achèterions pas.

— C’est parce que mon mari est mort, explique-t-elle. Je suis obligée de me démener pour vivre.