LA MORT VIENT
L’oncle Moïse a été enterré ce matin. Il est mort dimanche après midi vers quatre heures après une brève maladie. Ça l’a pris comme ça, un soir, à l’improviste. Il était parti au champ, comme chaque jour pour aller chercher les vaches. À peine s’était-il rendu au bout de la pièce de sarrasin, à deux arpents du chemin, qu’il s’est soudain senti mal, comme terrassé par la douleur. S’appuyant sur son bâton, il est revenu péniblement à la maison. Alarmé, il s’est mis au lit dans sa petite chambre, étroite et basse, à l’arrière de la demeure.
— J’suis pas bien du tout, a-t-il répondu à sa fille et à sa sœur qui, inquiètes, l’interrogeaient.
Malgré leurs instances pour le faire manger, il n’a pris qu’une tasse de thé. Le fils est allé chercher le médecin. Le Dr Manducat, un grand picoté, maigre, la figure glabre, est bientôt arrivé dans son vieux boghei. En entrant, il a jeté son panama sur le petit chiffonnier, dans le coin de la pièce, a regardé un moment l’homme étendu sur le lit et a posé quelques questions. Il sait à quoi s’en tenir. Le malade aussi d’ailleurs.
— Tiens, vous prendrez ça ce soir, et je reviendrai demain.
« Ça », c’est une pilule de morphine.
Le lendemain, en revenant de la ville, je vais voir l’oncle Moïse. Pendant que les autres vaquent à leurs occupations, aux travaux du ménage et de la ferme, lui est là, étendu sur son lit dans l’étroite et sombre pièce. Il souffre et il s’ennuie.
— J’ai la même maladie que mon père, me déclare-t-il. Il a été soixante-neuf jours malade. Et en parlant, ses mains froissent les couvertures, des mains tremblantes, qui semblent agitées de désespoir.