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IN PULVEREM REVERTERIS


Le calme soir d’un beau jour de juillet.

Le mince croissant blanc de la lune brille dans le ciel bleu au-dessus des grands arbres et la rivière coule si tranquille que l’eau semble dormir.

Après avoir embaumé tout le jour, les roses largement épanouies laissent choir un à un leurs pétales sur le gazon.

Et la petite maison blanche qui nous accueille depuis trois étés et où nous avons vécu des jours de si parfaite félicité m’apparaît à cette heure comme le visible symbole des bonheurs humains.

Sa tête blonde penchée, sa figure grave et réfléchie Pierre est assis sur les genoux de sa mère dans l’attitude du Penseur de Rodin. Marcel joue et court dans l’heureuse insouciance de l’enfance. Gaie comme une folle cigale, Cécile rit, chante, badine en cueillant quelques fleurs pour compléter sa toilette avant d’aller danser au club. Et à côté d’elle, son amie Margot, presque femme malgré ses seize ans, et si bronzée qu’elle fait songer à une jeune arabe, sourit d’un sourire charmeur qui illumine sa délicieuse petite figure. Assis sur son banc, sous les platanes, son chien couché près de lui, l’oncle Moïse se repose béatement dans la bonne fraîcheur du crépuscule. Tante Eulalie, la première debout le matin et la dernière au travail le soir, arrose inlassablement les fleurs que la chaleur a abattues.

D’un coup d’œil, j’embrasse cette scène, je vois tous ces personnages. Je songe que, dans cent ans, tout cela sera effacé, tous ces êtres seront disparus. Le front lumineux et chéri sous lequel s’agitent déjà des pensées graves ne sera plus qu’une poignée de poussière. Les jambes de l’enfant rieur et folâtre auront cessé de courir et de