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Page:Laberge - Quand chantait la cigale, 1936.djvu/46

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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

Dans son éternel costume noir, elle est là dressée devant le jeune arbuste. Elle le contemple avec bonheur. Elle ouvre toutes grandes ses narines pour respirer son arôme.

— Que j’aime donc cette senteur ! fait-elle.

Et elle s’approche de l’arbrisseau, arrache un rameau et le respire avec délices. Elle le porte ensuite à sa bouche, en mord quelques feuilles avec ses dents pour en goûter la saveur.

— Il faudra que j’en prenne d’autres branches en revenant, dit-elle.

Le chemin de fer traverse maintenant un bosquet d’érables, de chênes et de noyers.

Et toute émue, toute frissonnante d’émotion, tante Eulalie qui marche à côté de Dearest lui confie avec l’accent d’un aveu :

— Que j’aime donc les bois, les arbres, les fleurs sauvages ! Que je trouve donc cela beau !

Et Dearest regarde tante Eulalie qui lui apparaît comme transfigurée.

— Je suis vraiment comme une enfant, déclare celle-ci. Je trouve plus de plaisir à voir un arbre ou des fleurs des champs qu’à visiter le plus beau magasin. Ce que je voudrais, ajoute-t-elle, ce serait de ramasser des coquillages, des colimaçons.

Elle vient à peine d’exprimer ce souhait que la voici arrêtée devant un vinaigrier chargé de grappes rouges.

— Ma tante, c’est poison, fait Cécile qui redoute un nouveau retard inutile.

Tante Eulalie n’est nullement convaincue, mais elle continue sa route. Enfin, malgré les haltes, l’on est arrivé à la région où se trouvent les framboises. Des douzaines d’autres femmes et d’enfants sont déjà rendus. Aussitôt, la cueillette commence. Dearest, tante Eulalie et Cécile se dépêchent de remplir leurs chaudières.

Tout à coup, au milieu des herbes et des arbustes, tante Eulalie découvre un petit nid d’oiseaux dans lequel il y a deux œufs bleus comme l’azur du ciel. Et immédiatement, elle tressaille d’émotion et d’inquiétude. Si quelqu’un allait le dénicher, détruire ces vies en germe.

— Nous allons cueillir toutes les framboises autour d’ici ; nous n’en laisserons pas une seule, confie-t-elle à Dearest et Cécile. De cette façon, les gens ne s’arrêteront pas ici, ne trouveront pas le nid.