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LA CARPE


Chaque jour, lorsque nous passons par là, il fume tranquillement sa pipe. Nous ne savons pas son nom. De métier ou d’occupation, il ne paraît pas avoir. Mais, chaque après-midi, derrière sa maison, en manches de chemise, un ancien chapeau de paille sur la tête, assis sur une longue planche posée sur deux bûches, et qui forme une manière de banc, il fume béatement, le dos appuyé à une corde de bois.

Sa figure ressemble étonnamment à une tête de carpe et c’est là le surnom que nous lui avons donné : La Carpe.

Autour de lui, dans un sol sablonneux, rempli de cailloux, sont quelques sillons de pommes de terre et de maïs, et quelques rangs de fèves.

La Carpe regarde pousser ses légumes en fumant.

Sa vieille maison blanchie à la chaux paraît se reposer comme son maître. Elle penche de côté, telle une aïeule qui boite. Et tout devant, est une étroite et curieuse corbeille fleurie rose, jaune et bleu.

On dirait une petite tombe sur laquelle on aurait planté des fleurs artificielles.

Sur la clôture sèche une culotte d’enfant. Et dans la rue, un gamin de cinq ans environ, à figure de carpe, le ventre gonflé comme celui d’une femme enceinte, court et s’ébat, les fesses à moitié cachées par le jupon de sa petite sœur.