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VANITAS VANITATUM

Tante Eulalie dévaste le jardin.

Elle moissonne les roses ; elle les cueille toutes, jusqu’à la dernière et en fait une énorme gerbe. Une demi-heure après, je la vois s’éloigner dans sa robe noire du dimanche, emportant ses roses.

D’autres femmes passent, les bras également chargés de fleurs.

Je m’informe.

Ce sont les Quarante Heures et les dévotes veulent orner l’autel.

Le soir, je fais une promenade dans la direction du village.

Une procession de vieux et de vieilles se dirige lentement, péniblement, vers l’antique église. Ils sont courbés, cassés, misérables et laids. Leurs vêtements déformés, démodés, déteints, et trop amples, paraissent avoir été faits pour d’autres êtres plus grands et plus robustes.

Les vieux et les vieilles qui ont passé leur pauvre vie à travailler et qui attendent maintenant la mort s’en vont à la prière.

De son pas lourd et fatigué, le troupeau humain s’achemine vers l’église comme le bétail vers son étable.

Je croise une parente que son sombre vêtement imité de celui des religieuses fait ressembler à une sorcière de Zuloaga.

La morne procession pénètre dans le sanctuaire.

Longtemps, je me promène sur la place et je vois les anciens, ceux dont les années et les mois sont comptés, franchir le seuil de l’édifice surmonté d’une croix.

Je veux voir. J’entre à mon tour.

À moitié noyé dans l’ombre, un peuple de vieux est là agenouillé pendant qu’un prêtre, accomplit les rites devant l’autel où l’ostensoir brille faiblement entre quelques cierges et des fleurs fanées.