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Page:Lacroix - Le Docteur Gilbert, 1845.djvu/19

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le docteur gilbert.

Et pendant que le docteur lisait tout bas, et qu’Anatole observait silencieusement la physionomie de Gilbert, madame de Ranval sonna sa femme de chambre.

— Vous m’appelez, madame ? dit Mariane en entrant dans le salon.

— Mariane, nous partons ce soir pour Fontainebleau, Anatole et moi, dit Mathilde en élevant la voix comme à dessein : viens dans ma chambre préparer avec moi ce qui m’est nécessaire pour un voyage de huit ou quinze jours : tu nous accompagneras.

— De tout mon cœur, madame ! répartit Mariane avec une exclamation de joie. Je verrai donc notre joli petit ange !

— Quoi ! madame, s’écria le docteur avec un ton de reproche affectueux, mes conseils, mes prières, mes supplications, ne peuvent donc rien sur vous ? Mais cette lettre qui vous paraît si effrayante, je vous jure qu’elle n’a rien d’alarmant ! Si votre fils courait vraiment quelques dangers, je ne vous retiendrais pas, madame… Mais vous seriez coupable de compromettre votre santé, quand rien ne vous y oblige. Anatole, tu connais ton père ; il n’a pas la moindre notion de médecine, et tu l’as vu mille fois s’inquiéter pour des bagatelles ; un rhume, un mal de tête, l’épouvantent ; il ne rêve que fluxions de poitrine et fièvres cérébrales. Vous pouvez m’en croire, votre enfant n’est sans doute plus malade au moment où je parle ; ce n’était qu’un léger mouvement de fièvre causé par la dentition ; mais, d’après cette lettre, je ne vois aucun symptôme grave. Toi, Anatole, pour tranquilliser ta femme, tu peux aller passer vingt-quatre heures à Fontainebleau ; encore, est-ce parfaitement inutile, car je te prédis que si tu veux patienter jusqu’à demain, tu recevras de ton père des nouvelles tout à fait rassurantes… Mais laisser partir madame de Ranval aujourd’hui, par un temps pareil, ce serait une folie impardonnable, et tu pourrais t’en repentir toute la nuit.

— Tu l’entends, Mathilde ? dit Anatole d’une voix presque suppliante, sois raisonnable ; reste ici. Je partirai seul.

— Non, je veux t’accompagner, Anatole, répondit-elle d’un accent ferme et doux à la fois. Ne fût-ce que pour embrasser mon enfant, et repartir à l’instant même !… Il souffre, il a besoin de moi… C’est un devoir de mère, et je le remplirai !…

— Mais si tu ne peux remplir ce devoir sans compromettre ta santé, Mathilde ?… reprit M. de Ranval

— Madame, vous êtes mère, dit le docteur d’un air morne et solennel ; vous vous devez à votre enfant ; mais vous devez quelque chose aussi à votre époux !… Je vous répète, madame, que vous ne pouvez partir… Au nom de l’amitié, madame, au nom de tout ce qui vous aime, restez !… oh ! restez !

— Docteur, vous m’avez séparée de mon enfant, dit madame de Ranval en secouant la tête avec tristesse ; vous ne m’avez pas permis de le nourrir… et comme si ce n’était pas encore assez de m’ôter mon fils, vous avez voulu qu’il fût placé bien loin de moi… à quinze lieues de sa pauvre mère qui ne peut pas même aller l’embrasser !… Mais c’en est trop ! je vous le déclare… dussé-je tomber malade en arrivant !… dussé-je mourir, je veux presser aujourd’hui mon enfant sur mon cœur !…

Puis se tournant vers Mariane :

— Viens, Mariane, continua-t-elle avec une étrange émotion, suis-moi dans ma chambre : je vais faire mes préparatifs.

Elle salua froidement le docteur, et sortit du salon.