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Page:Lacroix - Le Docteur Gilbert, 1845.djvu/44

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le docteur gilbert.


X.


Victorine, épuisée de colère et d’émotions, se laissa tomber dans un fauteuil, et demeura quelque temps comme anéantie.

Puis tout à coup elle s’écria, fondant en larmes ;

— Ah ! je suis perdue !… où me cacher ?… Anatole vient d’être témoin de ma honte !…

Et sa tête, qu’elle penchait douloureusement sur sa poitrine, était secouée par des sanglots ; elle se couvrait la figure avec ses mains tout inondées de pleurs. Soudain elle entend marcher auprès d’elle, et saisie d’un frisson, elle lève les yeux…

Anatole venait de sortir du cabinet ; pâle et les traits bouleversés, il passa près de Victorine en détournant la tête, prit son chapeau et se dirigea vers la porte.

— Je vous en conjure, monsieur ! dit Victorine en courant à lui, ne m’abandonnez pas !

Et sa voix était suppliante. Elle joignit les mains.

— Adieu, madame !… répondit froidement Anatole, c’est pour jamais !…

Et il pose la main sur le bouton de la porte.

Mais Victorine le retient ; et se précipitant à ses genoux :

— Pitié !… pitié !… monsieur… ne me fuyez pas !… Oui, je suis bien coupable ! je vous ai trompé !… et c’est maintenant que je sens combien je suis vile et misérable, puisque vous me refusez même votre compassion !… Mais vous auriez pitié de moi, monsieur, j’en suis sûre, si vous pouviez lire dans le fond de mon cœur !… Dieu m’est témoin que je venais de prendre la ferme résolution de changer de vie, et de rompre à tout jamais avec cet homme… lorsqu’il a paru devant moi tout à coup !… Hélas ! et je n’ai pu vous dérober cette criminelle et flétrissante liaison !… Mais des aujourd’hui, je vous le jure sur ma vie, sur mon âme ! je rentre dans la bonne route, pour n’en plus sortir !… Et je veux, à force de larmes, de repentir et de vertu, trouver un jour grâce à vos yeux, et vous faire oublier mes longs désordres !…

— Je vous plains, madame, voilà tout ce que je puis faire !… répondit Anatole, ému jusqu’aux entrailles ; mais je n’ai plus de conseils à vous donner… Vous n’avez pas voulu me croire !… Tout ce que je vous ai dit avec la tendresse d’un frère a glissé inutilement sur votre âme, sans y laisser d’empreinte… Adieu, madame… puissiez-vous êtes heureuse !…

— Et comment pourrais-je l’être sans vous ! s’écria Victorine avec une inflexion de voix déchirante. Oh ! restez ! restez !… Ne me privez pas de vos douces et consolantes paroles… J’ai tant besoin d’un ami, d’un frère !… Oh ! ne me laissez pas seule avec le désespoir… avec la honte !… Je me tuerais peut-être… Mais je ne vous demande que quelques jours… et vous verrez le changement qui va s’opérer dans ma conduite !… Oui, s’il le faut, je me condamnerai à la misère, à la faim !… Pitié ! Demain je quitterai ce fastueux appartement, où tout montre à mes yeux mon déshonneur !… Je renonce pour jamais à cette molle et coupable existence, ou je n’ai goûté jusqu’ici que des plaisirs inquiets et pleins de remords au sein de la paresse et de la honte !… Oui, je travaillerai pour vivre… et je veux que tout le reste de mes jours serve d’expiation aux erreurs de ma jeunesse !… Mais vous avez dû voir tout à l’heure que je n’ai rien fait pour retenir cet homme… Je le pouvais… car il m’aime… Eh bien ! je l’ai laissé partir !… Je n’ai pas hésité un mo-