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le docteur gilbert.

ment… Me voilà retombée dans la misère !… Je ne regrette pas tout ce que je viens de sacrifier volontairement… mais vous, Anatole, oh ! soyez mon ami !… Ne m’abandonnez pas !

— Mon amitié vous serait bien stérile, madame, répondit Anatole d’un ton grave et sévère. Elle ne pourrait pas vous indemniser du luxe et des plaisirs auxquels vous croyez avoir la force de renoncer !… Vous dites que vous n’avez jamais été heureuse au milieu d’une opulence coupable… mais vous seriez bien plus à plaindre encore peut-être, si vous étiez pauvre !… Vous ne savez pas ce que c’est que le travail !… Il vous faut, à vous, les enivremens du bal et des spectacles, les riches toilettes… et mieux vaudrait pour vous la mort que la misère !…

— Ah ! que vous me jugez mal ! dit Victorine avec un lamentable soupir ; allez, j’ai du courage, et je sens que mon cœur n’est pas entièrement flétri !… Ah ! que ne vous ai-je connu plus tôt !… quand j’étais pure encore… et vous libre !… Je vous aurais aimé, moi !… et peut-être… Mais pour rendre à mon âme sa première pureté, il ne faut qu’un rayon de véritable amour !…

Anatole frémissait.

— Oui, continua Victorine en pressant contre elle Anatole, en lui mouillant les mains de larmes et de baisers, oui, nous serions unis, peut-être !… Luxe, plaisirs, richesses, à quoi bon tout cela, mon cher Anatole… quand on aime et qu’on est aimé !… Ah ! dans la plus pauvre cabane, je serais heureuse près de vous !…

— Adieu ! madame, adieu ! interrompit Anatole dans un grand trouble et s’arrachant des bras de Victorine. Vous êtes belle… il y a de la noblesse dans votre âme… et vous méritiez d’être vertueuse !… Mais il n’est jamais trop tard pour se repentir !… soyez heureuse !… Adieu !

— Vous partez ! s’écrie Victorine avec des sanglots. Cruel !…

— Adieu !… répète Anatole d’une voix sourde et profonde. Puis, saluant Victorine, il sortit.

Victorine demeure immobile au milieu de la chambre, et comme foudroyée. Pâle, interdite, elle écoute : elle espère un instant qu’il va revenir, et ses yeux restent fixés sur la porte, qui ne se rouvre pas.

Alors, donnant un libre cours à son désespoir, elle marche à grands pas, avec des gestes et des mouvemens convulsifs, elle s’écrie :

— C’en est fait !… il m’échappe !… il a horreur de moi !… plus d’espoir de vengeance !… Mais j’ai beau vouloir me le cacher, j’aime ! oui, j’aime cet homme !… et plus il est dédaigneux et froid, plus je brûle, insensée !…

Elle venait de se jeter dans un fauteuil, et, le front dans ses mains, elle pleurait, quand le docteur Gilbert rentra.

— Eh bien ! dit-il avec étonnement, en promenant ses regards de tous côtés, où est donc Anatole ?

— Parti !… murmura douloureusement, Victorine.

— Quoi !… vous l’avez laissé partir ? reprit le médecin d’une voix altérée.

— Je n’ai pu le retenir !…

— Oh ! pardieu ! vous êtes folle ! répliqua Gilbert en frappant du pied. Je ne vous croyais pas si novice !… Que diable ! il fallait plutôt fermer toutes les portes à double tour, et jeter les clés par la fenêtre.

— Si vous saviez, Gilbert ! dit Victorine en secouant la tête. M. Villemont est tombé ici comme la foudre !… À peine ai-je eu le temps de faire cacher Anatole dans cette chambre… et le misérable Villemont, quand il a su que je donnais un bal, s’est emporté contre moi d’une manière atroce !… Voyez, continua-t-elle en montrant au médecin les débris des vases et de la pendule qui jonchaient le parquet, voyez les marques de sa brutalité !… Peu s’en faut qu’il ne m’ait frappé, l’infâme !… Et cette effroyable scène, Anatole en était presque le témoin !… De cette chambre,