Page:Landes - Contes et légendes annamites, 1886.djvu/237

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Les gens courainet çà et là sans savoir à quoi se résoudre. Ils vinrent enfin porter leurs doléances à madame Doan et lui dire que l’affaire était urgente, qu’elle seule pouvait se risquer à réveiller le dô dôc, qu’il ne la gronderait pas et que, du reste, ils en prendraient la responsabilité. Elle se laissa persuader, mais à peine avait-elle soulevé le rideau et élevé la voix, qu’elle vit un thi luông[1] couché dans le lit, ses trois têtes sur l’oreiller. La femme, épouvantée, n’avait pas encore eu le temps de s’enfuir quand le monstre se dressa et d’un coup de sabre la décapita.

Le dô dôc se réveilla ; il demanda qui avait tué sa femme. Les serviteurs lui contèrent tout ce qui était arrivé ; il pleura beaucoup et fit enterrer la morte. Deux ou trois mois après celle-ci manifesta sa puissance ; elle faisait beaucoup de dégâts et ordonnait au village de lui ériger un temple. Les gens du village eurent peur et lui en bâtirent un ; ils jouirent alors de la tranquillité, et la dame les protégea puissamment.

La première année Tu dùc il y avait dans les prisons du chef-lieu de la province un certain bien Nghièn qui était accusé de crimes graves et que l’on gardait rigoureusement. Il s’échappa. Les gardes furent saisis de terreur ; on le chercha partout sans pouvoir le trouver.

Dans cette extrémité, les officiers de la milice coururent au temple de la dame, se prosternèrent mille fois et lui promirent que si elle leur faisait capturer le fugitif ils feraient faire en reconnaissance une représentation théâtrale. À peine ce vœu était-il prononcé, qu’un jeune garçon fut inspiré et proclama que Nghièn s’était enfui avec sa femme et ses enfants. « Il est arrivé, dit-il, au bac de Bùng, mais je le retiens dans une auberge qui est à droite après avoir passé le bac ; envoyez vite

  1. C’est sans doute le thuong luong, serpent fabuleux à trois têtes et neuf queues. On le rencontre quelquefois sous la forme de l’anguille ; on le reconnaît à ce qu’il dresse la tête, ce que ne peut faire l’anguille. Si on le fait cuire, il disparaît pendant la cuisson et l’on ne trouve rien dans la marmite.