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des patates. » — « Il est encore de bonne heure, répondit l’autre. Chez moi l’on sacrifie aux anciens ; laissez là votre charrue et vos bœufs, et venez boire avec moi une tasse de vin ». Khâ lui répondit : « Excusez-moi, j’ai peur si je laisse mes bœufs ici qu’ils ne fassent des dégâts. » Le fantôme insista : « Je vous demande, dit-il, de venir seulement pour quelques instants, après vous vous en retournerez. Vous me ferez grand plaisir, » Khâ voyant qu’il insistait ainsi ne put refuser davantage. Il dit : « Vous êtes un brave homme ! mais je suis en habits courts, je ne puis aller chez vous convenablement, vous avez des hôtes que cela scandaliserait. Le fantôme dit : « Voici un habit et un pantalon, mettez-les à la place des vôtres et venez avec moi, ne nous faisons pas attendre. » Khâ revêtit les vêtements et le suivit. Après un bout de chemin ils franchirent un fossé, un peu plus loin ils sautèrent par dessus un rocher et, à peu près dans le temps qu’il faut pour chiquer une chique de bétel[1] ils arrivèrent à leur destination. Là, Khâ vit nombre de gens bien vêtus avec de longs habits de cérémonie, de larges pantalons ; ils étaient assis sur deux rangs, il avait beau les regarder il n’en connaissait pas un. Leur accent était rude et différent du sien. Il fut saisi de frayeur, mais étant là il n’eut qu’à se mettre à manger. Le repas était bon, Khâ but beaucoup et s’enivra.

Après le repas, celui qui l’avait invité vint lui dire : « Partons, il se fait tard. » Khâ répondit : « Nous sommes tout près de chez nous, je sais le chemin, passez devant et tout à l’heure je vous suivrai. » L’autre lui dit : « Si vous restez, rendez-moi l’habit que je vous ai prêté pour que je l’emporte. » Khâ ôta l’habit et s’endormit.

  1. Chùng tàn miêng trâu, ou chung giâp bâ trâu. C’est une manière d’évaluer les distances par le temps que l’on met à les parcourir. Le fossé et les rochers représentent les fleuves et les montagnes.