Page:Landry, L’intérêt du capital, 1904.djvu/352

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avantageux, s’ils étaient immortels, de ne pas détruire ; et ils font encore du tort à la société lorsqu’ils n’entreprennent pas ces opérations capitalistiques qui leur seraient avantageuses s’ils étaient immortels[1]. Ils ne contribuent nullement à l’amélioration du revenu social, ils travaillent même à diminuer ce revenu. On sait, au reste, que ces gens sont une minorité ; que la plupart des hommes, soit par amour des leurs, soit pour s’éviter cette douleur — quelque peu irrationnelle à vrai dire — de voir leur fortune diminuer ou d’aliéner cette fortune, soit enfin parce que la généralité de leurs semblables se comportent ainsi, ne tiennent aucun compte, dans leurs opérations capitalistiques, de leur mort plus ou moins prochaine[2].

6 B. Supposons maintenant que les individus se regardent comme immortels, où — ce qui revient au même — qu’ils estiment le bien-être de leurs héritiers autant que le leur propre. De nouveaux conflits vont apparaître des intérêts particuliers et de l’intérêt général.

Dans la société présente, le gain le plus fort du producteur ne correspond pas nécessairement à la production la plus forte, au profit le plus grand de la société. Un particulier trouvera son avantage parfois à détruire de la richesse, et parfois à ne pas en créer autant que voudrait l’utilité sociale. Comment peut il en être ainsi, quels sont ces conflits des intérêts particuliers et de l’intérêt général qui surgissent, dans l’ordre de la production, du fait de l’institution de la propriété privée, ce sont des questions que j’ai traitées ailleurs ; et comme je ne vois pas que ce que j’en ai

  1. Bien entendu, celui-là ne cause aucun tort à la société qui aliène sa fortune, comme fait en ce moment tel milliardaire américain, au profit d’œuvres d’utilité publique, sans mettre fin à aucune entreprise capitalistique ; celui qui donnerait par exemple des actions d’entreprises industrielles pour que les revenus de ces actions servent à soulager des misères, celui-là accroîtrait la consommation de certains malheureux au détriment de la sienne ou de celle de ses héritiers ; la société n’y perdra rien à coup sûr, si on suppose que notre individu ou ses héritiers ne doivent pas, par suite de la diminution de leur revenu, capitaliser moins. Le cas d’un individu qui détruirait des « capitaux » pour augmenter la consommation des malheureux serait plus difficile : pour ces malheureux, la consommation est préférable au placement, même donnant un fort intérêt : pour le donateur, il en serait autrement ; où est l’avantage de la société ? nous sommes fort embarrassés pour le dire ; ici il apparaît que l’utilité sociale, dans l’ordre de la capitalisation, ne peut être déterminée que par rapport à une distribution donnée des richesses ; mais je reviendrai là-dessus.
  2. Voir Le vieillard et les trois jeunes hommes, de La Fontaine (Fables, XI, 8), et certain portrait de La Bruyère (Caractères, chap. de L’homme).