Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/424

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peut remédier aux défauts de notre organisation ; mais son but premier et suprême est d’assurer la paix de l’âme par la connaissance de la vérité. Il est à peine nécessaire d’ajouter que de la Mettrie, comme Lucrèce, se propose avant tout d’éliminer la croyance à l’immortalité de l’âme. Il se donne beaucoup de peine pour établir qu’au fond Sénèque et Descartes étaient du même avis sur ce point (78). Le dernier reçoit encore une fois de grandes louanges : ce qu’il n’osait enseigner par crainte des théologiens, qui voulaient le perdre, il l’a du moins exprimé de telle sorte que des esprits, moins élevés, mais plus hardis, devaient naturellement trouver la conclusion qu’il laissait entrevoir.

Pour s’élever de cet eudémonisme fondamental à l’idée de vertu, de la Mettrie fait intervenir la notion de l’État et de la société, mais d’une manière essentiellement différente de celle de Hobbes (79). Il s’accorde là dire avec celui-ci qu’il n’y a pas de vertu dans le sens absolu du mot, mais seulement dans le sens relatif, le bien et le mal n’étant ce qu’ils sont que dans leurs rapports avec la société. À la sévère injonction, émanée de la volonté du Léviathan, se substitue la libre appréciation du bien et du mal que l’individu peut faire à la société. La distinction entre la légalité et la moralité, qui disparaît entièrement chez Hobbes, recouvre ses droits avec cette nuance que la loi et la vertu découlent de la même source, comme étant toutes deux, pour ainsi dire, des institutions politiques. La loi est là pour effrayer et maintenir dans la crainte les méchants ; les idées de vertu et de mérite excitent les bons à consacrer leurs efforts au bien-être général.

Nous avons ici, dans la manière dont La Mettrie fait contribuer au bien public le sentiment de l’honneur, tout le germe de la théorie morale à laquelle Helvétius donna plus tard de si grands développements. Le principe de morale le plus important, sur lequel le matérialisme puisse s’étayer, celui de la sympathie, est aussi mentionné, mais en passant.