Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ordre déterminé à l’avance dans l’état des monades. Il ne s’ensuit nullement la nécessité que toutes les autres monades soient sorties de la plus parfaite. Celle-ci, dit-on, est la cause explicative de l’état des autres (pensée qui du reste n’est pas incontestable) ; mais cette circonstance ne fait pas de la monade la plus parfaite le fondement réel, et quand même elle le serait, il en résulterait sans doute, en un certain sens, un dieu supra-cosmique, mais ce ne serait pas encore un dieu qui pût s’adapter aux besoins religieux du théiste. Zeller[1] a fait une remarque très-judicieuse : « Il ne serait pas très-difficile de démontrer à l’encontre du déterminisme de Leibnitz, comme de tout autre déterminisme théologique, que développé d’une manière logique, il conduirait au delà du point de vue théiste de son auteur et nous forcerait à reconnaître en Dieu non-seulement le créateur, mais encore la substance de tous les êtres périssables. » Or cette démonstration, qui n’est pas très-difficile, rentre d’autant plus dans la critique inévitable du système de Leibnitz, qu’un génie tel que Leibnitz devait lui-même aussi faire cette découverte après Descartes, Hobbes et Spinoza. — Le seul point, qui paraisse rattacher nécessairement Dieu à l’univers, est la théorie du choix du meilleur monde parmi un nombre infini de mondes possibles. Ici nous pouvons renvoyer au traité de Baumann[2], traité savant, puisant à toutes les sources importantes. Il y est démontré que les essences éternelles des choses, auxquelles Dieu ne peut rien changer, peuvent aussi bien être regardées connue des forces éternelles, par la lutte réelle desquelles on obtient ce minimum de contrainte réciproque que Leibnitz fait réaliser par le choix (nécessaire !) de Dieu. Les conséquences logiques de sa conception du monde basée sur les mathématiques aboutissent à l’éternelle prédestination de toutes choses « par un fait simple », « tout se résume en un fait simple et nu ; rattacher les choses à Dieu, c’est aboutir à une vaine ombre » (p. 285).

94 [page 413]. De l’inutilité de l’idée de Dieu dans la métaphysique de Leibnitz, logiquement démontrée dans la note précédente, il ne s’ensuit pas encore, il est vrai, que subjectivement Leibnitz pût se passer de cette idée et la nature de la question empéche d’apporter ici un argument irrésistible. Il n’est pas toujours facile de distinguer entre le besoin religieux que Leibnitz éprouvait d’après Zeller (p. 103) et son besoin de vivre en paix avec le sentiment religieux de son entourage. Toutefois, sous ce rapport, nous ne mettrions pas absolument Leibnitz au même rang que Descartes. Non-seulement chez ce dernier maint passage

  1. Gesch. d. deutschen Phil., p. 176 et suiv.
  2. Die Lehren von Raum, Zeit und Mathematik, Berlin, ISM, II, p. 280 et suiv.