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anecdotes russes


Un bon pointeur.

Il nous fallait occuper un village que les Allemands venaient d’évacuer, mais nos éclaireurs nous apportaient une triste nouvelle : les Boches avaient installé des mitrailleuses dans le clocher, et cela pouvait nous arrêter d’autant plus longtemps que nous, nous ne tirons pas sur les églises. Nous devions donc attendre jusqu’à la nuit ; nos hommes s’énervaient : voir l’ennemi si près et avancer exigerait de si gros sacrifices.

Une batterie arriva et l’officier demanda à notre commandant l’autorisation de « décoiffer » le clocher pour en chasser l’ennemi ; mais celui-ci, fâché, répondit négativement, rappelant au bouillant artilleur l’ordre d’épargner tout édifice religieux.

Alors un pointeur, Nikita Mokrich, s’adressa à notre commandant :

— Permettez-moi, mon officier, de traverser seulement le clocher. Ma « bombe » passera par cette embrasure et sortira par celle qui est derrière, et je vous garantis que la mitrailleuse se taira.

Le vieil officier discuta, le pointeur le rassurait toujours.

— Soyez sans inquiétude, il ne restera même pas de trace.

Il obtint l’autorisation et aussitôt les servants mirent une pièce en batterie : Mokrich pointa lentement, le coup partit.

Effectivement, avec une justesse mathématique le projectile traversa le clocher de part en part ; les Allemands qui s’y trouvaient furent tués ou blessés, ceux qui étaient à l’étage supérieur prirent la fuite et quand, ayant occupé le village, nous entrâmes dans l’église, nous vîmes que notre adversaire, représentant la « haute kulture », en avait fait… une écurie.