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anecdotes pathétiques et plaisantes

Entre les deux tranchées, jusqu’à mi-distance exactement, gisait le cadavre d’un Boche. Le temps avait fait son œuvre, le corps était en pleine décomposition et à certaines heures, quand le vent soufflait du nord, une odeur pestilentielle venait rendre intolérable le séjour dans la tranchée française. Quelques hommes décidés résolurent de mettre fin à ce supplice et de profiter de la première nuit sans lune pour aller enterrer l’Allemand.

Donc, un soir, vers 11 heures, alors que la campagne se trouvait noyée dans une ombre épaisse, trois ou quatre des nôtres se hissèrent hors de la tranchée et commencèrent à ramper vers le corps sans sépulture. Mais les Allemands veillaient et nos soldats n’avaient pas parcouru 10 mètres qu’une grêle de balles les forçait à rebrousser chemin hâtivement.

De retour dans la tranchée, furieux, l’un d’eux griffonna ces quelques mots sur un morceau de papier : « Saligauds, on voulait enterrer votre copain et c’est comme cela que vous nous accueillez ! » Lesté d’une pierre et lancé par un bras vigoureux, le message fut expédié dans la tranchée boche. Trois minutes plus tard, par le même procédé, arrivait la réponse : « Si c’est pour ça, nous sommes prêts à vous aider. » Nos soldats, méfiants, sachant ce que vaut la parole des soldats du Kaiser, hésitèrent. Enfin, l’un d’eux se risqua : il sortit de la tranchée sans fusil. Immédiatement, un homme sortit de la tranchée d’en face. Un second, puis un troisième Français quittèrent leur abri ; un second, puis un troisième Allemand firent de même. Bientôt, dans la nuit noire, une vingtaine d’hommes furent occupés à creuser une fosse sommaire dans laquelle fut déposé le mort, puis à la combler. Tout cela sans que fut échangée une parole. À mesure que la besogne avançait, les hommes, heureux de se dégourdir un peu les membres, y mettaient moins d’ardeur.

Mais un observateur d’artillerie veillait ; il avait vu le rassemblement, l’avait signalé à sa batterie et, patatras ! un obus de 75 venait bientôt éclater à 50 mètres. Ce fut un sauve-qui-peut. Chacun se précipita vers sa tranchée.