Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/462

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verneur, qui n’avait peut-être pas l’intention de se rendre aucunement désagréable, a paru fort déconcerté ; nous en riions sous cape ; pour l’amiral, il en était triomphant.

Le gouverneur, après avoir hésité longtemps et donne des marques évidentes de mauvaise humeur, nous a quittés assez brusquement.

Nous n’avons pu douter que toute l’ordonnance de cette première entrevue n’eût été conduite dans l’intention secrète de nous indisposer, dès les premiers moments, les uns contre les autres. Le gouverneur s’y sera-t-il prêté ? n’en aura-t-il eu aucun soupçon ? C’est ce que le temps nous apprendra.

Sur les cinq heures et demie, l’Empereur m’a fait appeler dans le jardin ; il était seul ; il m’a dit qu’il se présentait une nouvelle circonstance personnelle à chacun de nous : on allait exiger notre déclaration individuelle d’unir notre destinée à la sienne, ou, si nous le préférions, on devait nous sortir de Sainte-Hélène et nous rendre à la liberté.

Nous ne devinions pas le motif de cette mesure : était-ce, de la part du ministère anglais, pour se ménager des pièces régulières ? mais nous n’étions partis de Plymouth pour Sainte-Hélène qu’avec cette condition préalable ; était-ce pour isoler l’Empereur ? mais devait-on croire que nous l’abandonnerions ?

Il me demanda quelle serait ma détermination à cet égard ; je répondis qu’elle ne pouvait être douteuse ; que si j’avais pu éprouver quelques déchirements, c’eût été au moment de ma première détermination ; qu’à compter de cet instant, mon sort s’était trouvé irrévocablement fixé : qu’alors j’avais suivi la gloire et mon honneur ; que depuis, chaque jour davantage, je suivais mes affections et mes sentiments. La voix de l’Empereur devint plus douce ; ce furent là ses remerciements : je le connaissais désormais, ils étaient grands !


Conversation caractéristique – Retour de l’île d’Elbe prévu dès Fontainebleau – Introduction du gouverneur – Mortification de l’amiral – Nos griefs contre lui – Signalement de sir Hudson Lowe.


Mercredi 17.

L’Empereur m’a fait appeler dans le milieu du jour, pour causer. Une partie de la conversation fournit des développements trop précieux du caractère de l’interlocuteur, pour que je n’en transcrive pas ici quelques traits.

Il se trouvait parfois entre nous des contrariétés, des piquasseries, des bouderies qui gênaient l’Empereur et le rendaient malheureux : il est tombé sur ce sujet ; il analysait notre situation avec sa logique ordi-