Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/526

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tombe. Ils ont été trempés par les pluies, suffoqués par les coups de vent, ils ont vu les vagues se creuser en abîmes, ils ont eu la sensation d’un combat corps à corps avec la masse d’eau qu’ils affrontaient, les lames se reculant, semblant prendre un élan, et revenant furieuses, comme un troupeau de bêtes féroces, se jeter sur la frêle barque, la terrassant, la mordant, pendant que la meute des vents déchire les filets et la toile, pousse la barque et l’homme vers le guet-apens des rochers, cachés sous l’eau. Eh bien ! qu’importe tout cela ! tout cela s’oublie. Quand la mer chante par toutes ses vagues, frémit sous les baisers du soleil, son appel est encore entendu, la barque est remise à l’eau, le pêcheur reprend le large. Voilà pourquoi, au lendemain des sinistres, la veuve et l’aîné des fils recousent les voiles, radoubent, goudronnent le bois, remmaillent les filets, pansent les blessures du bateau. Le mousse, devenu patron, ira de nouveau chercher la vie et la mort là où succombèrent la plupart des siens. Mais il n’essaiera pas de se soustraire à la loi commune. Son entrée dans la vie sera constatée par une inscription maritime ; sa mort, obscure et incertaine, ne laissera peut-être même pas de trace sur les registres de l’état civil. Entre ces deux faits, tient la biographie du pêcheur.

À DOUARNENEZ : MAISON DE PÊCHEURS.
PÊCHEURS DE GOÉMON DANS LA BAIE DE DOUARNENEZ.

Ce n’est pas une seule fois que j’ai vu, au bord des flots, une vieille qui regarde fixement devant elle, le visage ridé, les yeux secs, une femme à coiffe blanche, qui espère l’apparition d’une voile à l’horizon. Il n’y a là aucune fausse sensibilité. C’est l’ordinaire des drames de la mer. La femme de pêcheur qui attend son homme n’est pas une figure de romance, un facile sujet de vignette. Cette femme, on peut réellement la voir, sur les jetées, quand la mer est démontée et que les barques luttent au large contre le vent. Oui, elle a parfois un enfant sur le bras et un autre à la main, comme cela se voit sur les images. Il a fallu que le temps soit terriblement mauvais et que l’inquiétude ait troublé son esprit pour qu’elle soit sortie de sa triste maison et qu’elle soit venue ainsi connaître la fin de la tempête et le sort des bateaux. D’habitude, elle reste chez elle, active et passive, occupée et patiente. Elle soigne les enfants, va aux champs, tricote, cuit le repas du soir pour l’homme qui est en mer. Tout naturellement, l’existence acceptée fait que chacun s’est trouvé avec une tâche assignée qu’il remplit aux heures marquées, ponctuellement et sans examen. Le pêcheur s’en va, traînant ses filets, monte en barque, hisse la voile, disparaît et reparaît derrière les vagues, dans le soleil du matin ou dans