manière de la parler donne à celui qui passe brusquement d’un point à un autre la sensation neuve d’une race dissemblable. La douceur traînante, le son filé de tendre mélopée qu’on entend dans les campagnes léonardes a fait place à un chant vif et saccadé. Les voix attaquent résolument les phrases en notes brèves, les mènent précipitamment par des saccades qui ressemblent à des retirées d’eau dans des galets, les terminent par une brusque retombée. Et toujours ainsi, à ce point qu’un récit un peu long, prononcé de cette façon, précipitamment, mais avec des coupures très nettes, fait l’effet d’une lecture ou d’un discours enlevés avec une hâte extraordinaire. Si l’on ajoute que le rire, le rire des femmes, tel que je l’ai entendu à la maison des Quatre-Vents, est fréquent, tout en éclats et en roulades prolongées, et que la couleur est recherchée dans le costume, on aura l’idée d’une race en éveil, ayant, avec des parcelles d’âme commune, une violente vivacité qui la caractérise, au contraire de la ruminante rêvasserie, de la finesse de sourire, de la grâce de langueur, de la Bretagne blanche et noire du nord,
On ne sera donc pas surpris si je dis qu’en temps d’élections, tel que je l’ai vu à Douarnenez, une passion extraordinaire se déploie à propos des plus menus incidents de la lutte. Oui, Paris même, avec les fréquentes réunions publiques qui continuent par les rues en longues conversations de noctambules, avec la vivacité de son esprit ouvrier et de ses reparties faubouriennes, Paris n’est pas en vérité plus actif que la bourgade de pêcheurs. C’est un ferment d’une rare puissance d’action qui s’empare ici des cervelles à l’idée qu’une bataille va se livrer, que deux partis sont en présence, qu’il y aura un vainqueur et un vaincu. Un instinct de combativité ancienne se retrouve immédiatement chez tous, et la lutte pacifique des bulletins de vote dans les urnes s’agrémente aux alentours de rudes interpellations, d’invectives précipitées, de coups de poing qui sonnent dur sur les torses et sur les faces. Au centre des places, dans le va-et-vient où s’agitent les gens vêtus de vêtements bleus et verts, couleur de vagues et couleur d’horizons, les paroles résonnent en affirmations répétées et colères, en énumérations persistantes appuyées par les t, les k et les ch. J’ai vu des scènes de vraie violence, des mêlées avec coups et blessures. La veille du scrutin, surtout, et au moment de la proclamation des résultats, au premier tour et au jour de ballottage, les pêcheurs ne prenant pas la mer, les rixes brutales se sont déchaînées autour des affiches à deux compartiments, en français et en breton, agrémentées de drapeaux blancs et de drapeaux tricolores. Le paysan est plutôt royaliste, et le marin, républicain, avec des courants mêlés et des majorités péniblement disputées. On voit là nettement les séparations de régions, de professions, d’habitudes. De même qu’il y a plusieurs Frances qui sont, ou superposées ou ajustées et rigoureusement emboîtées comme les morceaux d’un jeu de patience, de même, dans chaque ancienne province, il y a plusieurs provinces, et la Bretagne ne fait pas exception à cette règle de diversité. Pour s’en tenir à quelques divisions, qui pourraient être plusieurs fois fragmentées, il y a d’excessives différences entre le nord et le sud du pays, les rocheuses collines séparent nettement le pays de Tréguier et le pays de Léon de la Cornouaille, et enfin, comme partout, le bord des côtes est une lisière absolument autonome, dont il est impossible de confondre les habitants maritimes avec les habitants terriens qui logent à deux pas, dans les champs contigus aux falaises.
(À suivre.) | Gustave Geffroy. |