Page:Le Tour du monde - 01.djvu/311

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Maui chercha alors un moyen de s’emparer du Soleil. Il imagina un piége composé de taura, de mati, de roa, de nape, de ieie[1], et il y ajouta un cheveu de Hinahina-toto-io. Au chant du coq, Maui disposa son piége au bord de l’orifice (par où le Soleil sort de terre) : aux premières lueurs du crépuscule, quand on commence à pouvoir distinguer une mouche qui vole, les rayons du Soleil s’engagèrent dans le piége, et, au jour, son cou y fut pris. Les différents liens furent bientôt brisés, seul le cheveu de Hinahina-toto-io arrêta le Soleil et résista à tous ses efforts ; en vain par cent fois il s’élança vers le ciel, en vain par cent fois il se précipita dans les profondeurs d’où il venait, il ne réussit qu’à se rompre le cou. Alors Maui triomphant apparut et lui dit : « C’est moi le grand Maui-titii-ataraa. » Le Soleil l’implora humblement et lui dit : « Ô Maui ! délivre-moi ! — Je ne te délivrerai pas, je te retiens pour le mal que tu as causé à ma mère en la forçant à manger son ape cru. Si tu avais marché comme il convient, je te délivrerais. » Le Soleil lui répondit : « Si je meurs, le monde ne s’en trouvera pas mieux ; il n’y aura plus de lumière, tout restera dans l’obscurité, et la nourriture de ta mère n’en sera pas plus cuite. » Maui lui dit : « Si je te délivre, ne me tromperas-tu pas ? » Le Soleil lui répondit : « Non, je ne te tromperai pas. — Le four de ma mère aura-t-il le temps d’être chauffé ? — Oui, le four de ta mère sera chauffé, et même jusqu’à trois fois par jour. » Maui lui dit alors : « Tu es libre » ; et le détacha. Depuis, le Soleil parcourut majestueusement sa carrière sur Toa-reva, et on put préparer le peretia, cueillir les fruits, leur enlever l’écorce et même se surcharger de nourriture avant que le Soleil ne descendît dans la mer.


CHANTS DES ARIOÏ.

(On sait que la société des Arioï, à l’époque de la découverte de Tahiti, s’est montrée sous un jour qui lui est peu favorable. Livrée aux désordres les plus effrénés, elle se faisait un honneur de pratiquer l’infanticide. Le morceau suivant, qui se compose évidemment de fragments anciens très-incomplets, ne pourrait-il pas faire supposer que cette société avait été formée en partie sous une inspiration primitivement morale et qui depuis a dû se perdre ; certes les dieux Tahitiens, encore moins que ceux de la Grèce, ne peuvent être cités comme des modèles à suivre, cependant leur invocation solennelle, par cela seul qu’elle s’adressait à des êtres réputés supérieurs à l’homme, prend un caractère religieux dont l’influence morale semble incontestable ; il est impossible aussi de ne pas reconnaître dans le passage relatif à la Lune, une inspiration remarquable due à un sentiment de reconnaissance pour la divinité. Nous n’insisterons pas ici sur la singulière ressemblance qu’offre ce mot arioï avec l’ethnique sanscrit Aryas, Arihs, avec l’égyptien Œris, le vieux latin Herus, le grec aristoï, etc., qui tous, dans l’origine, ont été des qualificatifs de races ou de castes privilégiées.)

… Vêtus de feuilles de miro, ils allaient auprès des enfants des Raatira (chefs) ; puis, jouant du vivo[2] et faisant claquer leurs doigts, ils chantaient ainsi :

« Veillez, veillez, ô Dieux ! Veille, ô Taaroa !… mais que le Dieu des maléfices dorme la nuit ! Qu’il dorme le jour ! Du Levant et du Couchant nous arrivons vers toi. Lève-toi ! ce sont les Dieux qui t’éveillent, lève-toi, ô lève-toi, ô Déesse ! lève-toi, ô Roi ! Voici l’étoile Feinui qui brille dans le ciel ! voici les insectes qui chantent dans l’herbe. Lève-toi ! tes amis, tes compagnons t’appellent…

« La Lune brille dans le ciel ; elle répand sa lumière sur la terre comme une torche placée par les Dieux pour éclairer la couche nuptiale ; la Lune brille dans le ciel ; elle répand sa lumière sur la terre comme une torche placée par les Dieux pour éclairer le festin ; la Lune brille dans le ciel… Un diadème au front, elle nous offre un abri dans la maison des Dieux, dans la maison des Dieux… »


TRADITION DILUVIENNE.

Deux hommes étaient allés au large pêcher à la ligne : Roo était le nom de l’un, Teahoroa celui de l’autre. Ils jetèrent leur hameçon dans la mer, et l’hameçon se prit dans les cheveux du dieu Ruahatou. Ils se dirent alors : « Un poisson ! » et ils tirèrent la ligne ; mais ils virent apparaître un être à face humaine, accroché par les cheveux. À l’aspect du dieu, ils bondirent à l’autre bord de la pirogue et restèrent comme morts de frayeur. Ruahatou leur demanda : « Qu’est ceci ? » Les deux pêcheurs répondirent : « Nous sommes venus ici pour pêcher du poisson et nous ne savions pas que tu te prendrais à notre hameçon. » Le dieu leur dit alors : « Dégagez mes cheveux » ; et ils les dégagèrent. Puis Ruahatou leur demanda : « Quels sont vos noms ? » Ils répondirent : « Roo et Teahoroa. » Ruahatou leur dit ensuite : « Retournez au rivage, et dites aux hommes que la terre sera couverte par la mer et que tout le monde périra. Vous, demain matin, rendez-vous sur l’îlot nommé Toa Marama : ce sera un lieu de salut pour vous et pour vos enfants. »

Ruahatou fit monter la mer au-dessus des terres. Toutes furent couvertes, et tous les hommes périrent excepté Roc, Teahoroa et leurs familles.


On pourrait encore extraire des manuscrits de Maré un certain nombre de fragments d’hymnes guerriers ou de chants nautiques, se rapportant évidemment aux migrations antiques des ancêtres de la race tahitienne. Mais écrits dans une langue archaïque, dont Maré lui-même, son dernier interprète, était loin de posséder la complète intelligence, ces fragments ne pourraient être traduits sans être accompagnés de commentaires étendus et d’hypothèses tout à fait en dehors du cadre de ce re-

  1. Maré fait ici l’énumération des principales espèces de cordes indigènes.
  2. Flûte indigène dont on joue avec le nez.