Page:Le Tour du monde - 14.djvu/109

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nous à la dérobée, me rappelèrent ceux des bêtes féroces emprisonnées derrière les barreaux d’une cage et montrant les dents au curieux qui les approche de trop près. Au reste, le type de ces Orejones avait déjà subi des modifications sensibles ; leurs oreilles atteignaient à peine à une longueur de dix pouces et me parurent très-mesquines à côté des oreilles des Ccotos que j’avais vues précédemment à Bellavista et comparées à celles de jeunes éléphants.

Nous reprîmes la direction de Pevas en discourant sur le passé des Orejones que nous venions de voir. Les exigences du négoce n’avaient pas permis aux frères lais de la mission de remonter bien haut dans l’histoire de ces indigènes et les notices qu’ils me donnèrent sur leur compte se bornèrent a quelques mots. Ainsi j’appris qu’ils comptaient jusqu’à quatre : nayhay, un ; — nénacomé, deux ; — féninichacomé, trois ; — ononocoméré, quatre ; puis, ce chiffre dépassé, qu’ils se servaient du mode de numération employé par les Quechuas. Leurs congénères du Napo comptaient par duplication, comme la plupart des nations américaines.

Bien que ces malheureux m’eussent paru assez voisins des brutes auxquelles les assimilait leur épouvantable physionomie, ils n’étaient pas si bêtes qu’ils le paraissaient et avaient leur petit système, ni meilleur ni pire que beaucoup de systèmes, à l’égard de l’âme, cette souveraine maîtresse du corps. Dans leur système, l’âme n’était pas immortelle ; elle mourait avec l’individu, mais jouissait du privilége de ressusciter quelque temps après, sous la forme d’un urubu blanc à caroncules jaunes et violettes, l’Urubu-tinga des riverains de l’Amazone, le Vultur papa des savants.

Les frères lais de Pevas.

Leurs idées, sur une Trinité symbolique, se bornaient à reconnaître, mais sans leur rendre aucun culte, un Dieu créateur qu’ils appelaient Omasoronga, un Dieu conservateur qu’ils nommaient Iqueyde-ma, un esprit d’amour et d’intelligence auquel ils donnaient le nom de Puynayama.

La tradition d’un déluge existait parmi eux, seulement l’arche ou l’esquif qu’on voit dans les cosmogonies des peuples flotter à la surface des grandes eaux, était remplacé chez les Orejones par une grande caisse sans couvercle et enduite d’un brai local, que leurs ancêtres avaient profondément enfouie en retournant sa cavité du côté du sol, et sous laquelle, munis de provisions solides et liquides, ils étaient restés près d’un mois, pendant que le déluge couvrait la terre.

Ces idées, que j’attribuai chez les Orejones à leur affiliation dans le passé avec les nations de l’autre hémisphère, étaient, me dirent ingénument les frères lais de Pevas, tout ce qui restait à ces pauvres Indiens de l’instruction religieuse qu’en des temps reculés leur