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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/139

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mètres à cheval pour regagner son bœr ; on passa outre ; elle partit avec son mari, puis les jeux recommencèrent de plus belle.

Il y avait à peine une heure et demie que les mariés nous avaient quittés, et le prêtre venait d’endormir tout le monde et de s’endormir lui-même en racontant une interminable saga, quand tout à coup nous vîmes arriver le mari assez inquiet. Il prononça quelques paroles et je vis la matrone se lever et chercher des chiffons. Je n’eus pas besoin d’autres explications, je m’y attendais. Le prêtre, avec qui j’avais essayé de parler botanique, me dit : Vous devez être docteur ? Sur ma réponse affirmative, on me sella un cheval et nous partîmes ventre à terre avec le mari et une bonne femme de quarante ans, qui avait une certaine expérience en ces sortes de matières.

Nous dévorions l’espace dans des chemins crevassés, et je craignais bien d’arriver trop tard : heureusement ce ne fut qu’à quatre heures du matin que j’introduisis dans la vie quelque chose qui avait assez les apparences d’un singe, mais qui deviendra un homme un jour si Dieu lui prête vie.

Après avoir donné quelques premiers soins, je regagnai l’église de Thorfastathir ; j’étais accablé de fatigue ; enveloppé dans une fourrure, je ne tardai pas à m’endormir ; mais, quelle ne fut pas ma surprise en me réveillant, quand je vis la mère et l’enfant. Le père s’empressa de m’expliquer qu’on tenait à ce que je fusse le parrain du nouveau-né et qu’on avait décidé de faire immédiatement le baptême, afin de ne pas retarder mon départ. De sorte qu’en moins de trente heures j’avais été coiffeur, garçon d’honneur, accoucheur et parrain : on ne perd pas toujours son temps en voyage.

Après tous ces exploits, comme on m’avait trouvé un sequens, je pus quitter le bœr, comblé des bénédictions de toute cette nombreuse famille.

Mon nouveau compagnon était un individu de quarante-cinq ans ; il s’était rasé de frais pour me faire honneur et, afin de me prouver son érudition, il m’aborda
Une halte imprévue. — Dessin de V. Foulquier d’après l’album de l’auteur.
le chapeau à la main en me disant d’une voix nasillarde : Longus tempus. Je crus un moment que je pourrais m’entendre avec lui en parlant latin, mais l’expérience, que je ne tardai pas à en faire, me prouva que tout son vocabulaire se bornait à ces deux mots. En revanche, il prisait du tabac de manière à en avoir le nez tout altéré : c’est un reproche qu’on peut adresser à tous les Islandais. Comme il fait beaucoup de vent dans le pays et que toute la vie des indigènes se passe à cheval, leur tabatière est une espèce de poire à poudre recourbée ; ils s’en mettent l’embouchure dans les narines et reniflent de toute leur force ; chaque fois que mon sequens prenait une prise, il avait l’air d’un piqueur qui sonne un hallali.

Nous ne tardâmes pas à faire mauvais ménage, parce qu’il était d’une lenteur à nulle autre pareille, et que je tenais à regagner la journée que j’avais perdue. Souvent je marchais moi-même en avant ; cette impatience me coûta cher. D’abord, une de mes étrivières se rompit et je fus obligé de trotter les jambes pendantes jusqu’à la plus prochaine église où nous fûmes reçus par un excellent prêtre qui, pendant que je prenais du café au lait avec des biscuits de lichen, se munit de ses outils et répara l’avarie de ma selle. Une heure après que nous eûmes quitté cette église, il était à peu près huit heures, nous venions d’arriver sur le bord d’une petite rivière qui coulait sur un lit de cendre noire et qu’il nous fallait traverser. Je crus pouvoir la passer facilement à gué. Au lieu de suivre les chevaux, qui dans ces circonstances s’en tirent avec plus d’adresse que les hommes, j’avais pris les devants et, arrivé au milieu de la rivière, moi et mon cheval nous disparûmes tout d’un coup dans un trou, de sorte qu’avec mes grosses bottes je dus saisir sa queue et me faire remorquer jusqu’à l’autre rive.

Il faisait un vent épouvantable ; mon sequens, qui avait été plus prudent, avait heureusement passé avec les autres chevaux. Il s’apprêtait à décharger les caisses qui renfermaient mes vêtements, croyant que j’allais en changer, mais transporté de rage, je distribuai des