dant cinq jours, une nappe d’eau, longue de cinq lieues et large de quatre, roula vers la mer, entraînant des blocs énormes de glaces et de rochers arrachés aux flancs de la montagne. La vaste plaine de Myrdalsandr, entièrement recouverte par le diluvium déposé par cette inondation, est toute jonchée de ces blocs erratiques. À la suite de cette éruption, trois chaînes d’écueils, allongés parallèlement, se sont formées dans la mer, où elles s’étendent jusqu’à trois lieues au large. Composés de sables volcaniques, de pierres ponces et de cendres, ces écueils sont très-probablement dus au prolongement des trois torrents principaux. qui ont coulé du glacier démoli et fondu du Myrdals-Jokul.
Comment s’étonner « que le récit des commotions de la région de l’Hékla tienne une grande place dans les sagas islandaises, et que, dans cette histoire nationale des malheurs et de l’abaissement d’une race héroïque, on sente planer une terreur superstitieuse inspirée par ce redoutable volcan, et comme un esprit de soumission résigné à son influence fatale[1] ? »
Et cependant une ligne tirée de l’Hékla au Myrdals circonscrit, au couchant, un centre de phénomènes bien autrement terribles pour l’Islande que ceux que nous venons de signaler.
« … De toutes les contrées de l’Europe, l’Islande est peut-être celle qui a donné lieu aux travaux topographiques les plus minutieux. Ils ont eu pour résultat une carte admirablement exécutée, sur laquelle la moindre petite crevasse, le plus chétif torrent et le moindre courant de lave sont reportés avec une perfection étonnante. Cependant, dans la partie sud-est de l’Islande, une large tache blanche rompt la continuité de ces lignes microscopiques. Partout ailleurs les ingénieurs ont exploré le sol de l’île ; seul un vaste espace de mille kilomètres carrés a défié leurs investigations. Sur cette aire, où le Skapta-Jokul élève ses cimes ceintes de champs de neiges et d’éternels glaciers, le pied de l’homme ne s’est jamais posé. C’est pourtant du sein de ce discret désert qu’est descendu le plus épouvantable fléau qui ait ravagé l’île.
« Cet événement eut lieu en 1783. L’hiver et les premiers jours du printemps avaient été d’une douceur inaccoutumée. Vers la fin de mai, un léger brouillard bleuâtre commença à flotter autour de la ceinture vierge du Skapta, son apparition fut accompagnée, dans le commencement de juin, d’un fort tremblement de terre. Le 8 du même mois, d’immenses colonnes de fumée, réunies dans la partie nord de cette région montagneuse, se mirent en mouvement dans la direction du sud, marchant contre le vent, et enveloppèrent de ténèbres tout le district de Sida. Un tourbillon de cendres s’abattit alors sur la face de la contrée, et, le 10, d’innombrables jets de flammes apparurent jaillissant et serpentant au milieu des précipices glacés de la montagne, pendant que la rivière Skapta, une des plus larges de l’île, après avoir roulé dans la plaine un immense volume d’une fétide bouillie d’eau et de poussière volcanique, disparaissait tout à coup.
« Deux jours après, un courant de lave, issu de sources dont aucun pied mortel n’a foulé les abords, vint se précipiter dans le lit de la rivière desséchée, et en peu de temps, quoique ce chenal béant ne présentât pas moins de six cents pieds de profondeur sur deux cents de large, le déluge de feu surmonta ses rives, traversa la basse contrée de Medalland, et, roulant devant lui comme une nappe le sol tourbeux de cette plaine, vint se jeter dans un grand lac, dont les eaux, vaporisées au contact de cette brûlante invasion, s’évanouirent en bouillonnant et en sifflant dans les airs.
« Ayant comblé entièrement en peu de jours le vaste bassin du lac, l’inépuisable torrent reprit sa marche, mais, divisé cette fois en deux courants, il alla avec l’un recouvrir d’anciens champs de lave, et, se rejetant avec l’autre dans le lit de la Skapta, il s’élança en cascades de feu du haut des cataractes de Stapafoss. Ce n’est pas tout : pendant qu’un fleuve de lave avait choisi la Skapta pour son lit, un autre, descendant dans une direction différente, ravageait les deux rives du Heverfisfliot et se précipitait dans la plaine avec plus de fureur et de rapidité que le premier. Il est impossible de savoir si tous deux sortaient du même cratère, car le creuset d’où ils s’épanchèrent au loin était situé au cœur même d’un inaccessible désert, et même on ne peut mesurer la puissance de cet épanchement de matières ignées qu’à partir du point où il atteignit les districts habités. On calcule que le courant qui combla la Skapta a environ quatre-vingts kilomètres de long sur vingt à vingt-cinq dans sa plus grande largeur, et que celui qui suivit le cours du Heverfisfliot forme une zone de quatre-vingts sur onze. Là où elle fut emprisonnée entre les hautes berges de la Skapta, la couche de lave atteint cinq et six cents pieds d’épaisseur, et en conserve près d’une centaine dans la plaine même. L’éruption de poussière, de cendres, de ponces et de laves continua jusqu’à la fin d’août, époque où ce drame plutonien se termina par un violent tremblement de terre.
« Pendant toute une année un lourd dais de nuages pulvérulents demeura étendu sur l’île. Le sable et les cendres recouvrirent sans retour des milliers d’acres de fertiles pâturages. Les îles Fœroë, les Shetlands et les Orcades furent inondées de cette poussière volcanique qui souilla même d’une manière perceptible les cieux cléments de l’Angleterre et de la Hollande. Des vapeurs méphitiques infectèrent l’atmosphère de l’Islande entière ; même le gazon que n’avait pas atteint la pluie de cendres fut entièrement consumé. Le poisson périt dans la mer infectée, une épizootie se déclara dans le bétail, et une épidémie semblable au scorbut attaqua les habitants eux-mêmes. Un contemporain de l’événement a évalué à neuf mille hommes, vingt-huit mille chevaux, onze mille bêtes à cornes et cent quatre vingt-dix mille moutons les victimes immédiates de
- ↑ De Chancourtois et Ferri-Pisani, Mémoire cité.