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Page:Le Tour du monde - 18.djvu/160

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Le prêtre réfléchit gravement, puis il me dit : « Vous avez raison. » Quant à la pauvre Islandaise, elle n’en demanda pas davantage, et elle se proposait d’unir son sort, huit jours après, ou même moins, à un Islandais quelconque, oubliant complétement cet ingrat Le Blanc qui, de son côté, sans doute, ne devait guère songer à elle.

En rentrant à Reykjavik, toutes les dames nous disaient : « Nous sommes heureuses quand vous revenez du Dyrafiord, parce que son séjour doit vous disposer à trouver Reykjavik presque beau. » Elles avaient bien raison ; car dans la petite métropole on retrouve une aimable société, des bals et des cavalcades dans les laves et des dîners sur le gazon, au bord d’un lac, sans compter les bals et les dîners officiels.

C’est surtout à la fin de la campagne qu’on se livre à tous ces plaisirs ; chaque jour est un jour de fête.

Après avoir donné notre grand bal sur la Pandore, le 21 août, nous appareillâmes pour le départ, et nos bons amis d’Islande répétaient, en voyant partir la Pandore : « Voilà le soleil de l’Islande qui s’en va ! » En effet, la frégate française arrive avec la belle saison, avec le soleil ; elle s’en va dès qu’on aperçoit la première étoile, qui est comme le signal de la première aurore boréale. À partir de ce moment, on a ordinairement deux aurores par nuit : la première à onze heures
La Pandore franchissant le cercle polaire à la lueur d’une aurore boréale. — Dessin de Yan’ Dargent d’après l’album de l’auteur.
jusqu’à onze heures trois quarts. La seconde, plus brillante que la première, paraît à minuit et éclaire le ciel et la mer pendant de longues heures. Quand l’aurore va se former, on aperçoit comme un nuage noir à l’horizon, dans la direction du nord-nord est ; les bords du nuage s’éclairent, puis, tout d’un coup, du fond de cette cuvette noire, part une fusée rapide, qui est immédiatement suivie de plusieurs autres. Ces fusées laissent dans le ciel une traînée lumineuse ; peu à peu elles arrivent jusqu’au zénith et finissent par s’étendre sur la totalité de la voûte céleste. L’aurore est alors dans tout son éclat : du ciel se détachent de longues franges qui descendent mollement et que l’observateur croit pouvoir saisir dans ses doigts. Une blanche clarté envahit tout le ciel et la mer. C’est dans ce milieu magique qu’il fallait voir la belle Pandore au moment où elle s’éloignait des côtes d’Islande. Sa gracieuse mâture, ses vergues élancées et chargées de lumière se découpaient franchement sur cette sorte d’auréole qu’on eût dit ménagée pour l’heure des adieux, et je passai toute ma nuit sur la dunette à contempler cet imposant météore, éclairé par cette « lumière du nord, » comme ils l’appellent dans leur langage pittoresque, et qui doit être désormais leur unique soleil.

Noël Nougaret.