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Page:Lectures romanesques, No 148, 1907.djvu/20

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— Tu l’aimes !…

— Oui, monsieur !…

— Fatalité ! fit le vieux Pardaillan qui, devenu pensif, baissa la tête.

— Je l’aime, reprit le chevalier. Je l’aime sans espoir. Et pourtant, je veux la délivrer ! Et c’est elle qui se trouve dans cette voiture ! Elle et sa mère !…

— Tu en es bien sûr ?

— Trop sûr ! Souvenez-vous de ce que m’a dit la petite Jeannette. Ces paroles s’accordent exactement avec le portrait de la mère et de la fille… Elles ont été enlevées, voici une quinzaine. Je soupçonnais le maréchal de Damville. Maintenant, j’en suis sûr !… Mais où les mène-t-il ? Pourquoi les change-t-il de prison ?

— Ah ! Je comprends tout, maintenant ! Je comprends les précautions prises hier et aujourd’hui contre moi. Le maréchal ne voulait pas que j’apprisse qu’il avait des prisonnières et quelles étaient ces prisonnières ! Il avait peur ! Et il avait raison d’avoir peur ! Car si j’avais su la vérité, ce que tu as entrepris, je l’eusse entrepris, moi !

— Mais enfin, mon père, comment se fait-il que je vous retrouve au service du maréchal ? Depuis quand êtes-vous dans son hôtel ?

— Depuis hier soir seulement. Et j’y ai été gardé à vue. Seulement le maréchal m’avait dit qu’à partir de minuit je serais libre. Je me proposais de te rejoindre à cette heure-là.

Le vieux Pardaillan fit alors à son fils le récit de sa rencontre avec Damville aux Ponts-de-Cé et ce qui en était résulté. Le chevalier, à son tour, compléta son récit en racontant les principaux événements de sa vie depuis le départ de son père.

Lorsque ces diverses confidences furent terminées, le petit jour commençait à paraître.

Il fut résolu que le vieux Pardaillan retournerait à l’hôtel de Mesmes et qu’il servirait le maréchal avec fidélité en ce qui concernait son plan de campagne politique.

C’était le meilleur moyen d’arriver à savoir ce qu’étaient devenues Jeanne de Piennes et sa fille.

— Au besoin, ajouta le routier, il y a quelqu’un qui doit être instruit de cela. C’est celui qui conduisait : un certain vicomte d’Aspremont. Et celui-là, je le forcerai à parler. Sois tranquille, avant peu, je saurai à quoi m’en tenir.

— Moi, je vais prévenir le maréchal de Montmorency de ce qui vient de se passer. Et je vous attendrai ensuite à la Devinière… songez avec quelle impatience !

— À la Devinière, malheureux ! Tu veux donc retourner à la Bastille !

— C’est vrai, je n’y songeais plus.

— Tu vas demeurer ici. Je suis au mieux, depuis longtemps, avec la maîtresse du Marteau qui cogne. D’ailleurs, c’est ici une de ces auberges mal famées où messieurs du guet et sbires quelconques n’ont garde de se hasarder. Tu y seras en parfaite sûreté. Je vais donner des ordres pour qu’on t’aménage une niche logeable.

Le père et le fils s’embrassèrent alors.

Le vieux routier réveilla l’hôtesse, qui dormait depuis longtemps, et lui donna ses instructions. L’hôtesse jura que le chevalier serait plus en sûreté dans son auberge que le roi dans son Louvre.

Le chevalier accompagna son père jusque dans la rue. Au moment où il s’éloignait :

— Mon père, lui dit-il, j’ai laissé à la Devinière quelqu’un… un ami… allez me le chercher, puisque je ne puis, moi-même.

— Bon. Comment s’appelle-t-il, ton ami ?

— Pipeau, c’est un chien…






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