CHAPITRE XIV
L’empereur Alexandre était mort à Taganrog d’une fièvre endémique, sur les bords de la mer d’Azow qu’il avait affrontée avec une grande imprudence. Ses dernières années avaient été empoisonnées par une humeur soupçonneuse, poussée jusqu’à la monomanie, qui combattait dans son cœur des sentiments naturellement généreux.
Madame de Narishkine avait été rappelée à Pétersbourg pour le mariage d’une fille qu’elle avait eue d’Alexandre et qu’il aimait passionnément. Cette jeune personne mourut peu de jours avant celui fixé pour la noce. L’Empereur en fut désespéré, et ce chagrin commun rétablit l’intimité entre les deux anciens amants.
Madame de Narishkine m’a raconté des détails inouïs de l’état où était tombé ce prince, naguère si confiant. Non seulement il craignait pour sa sûreté, mais, s’il entendait rire dans la rue ou surprenait un sourire parmi ses courtisans, il se persuadait qu’on se moquait de lui et venait supplier madame de Narishkine, au nom de son ancien attachement, de lui dire en quoi il appelait ainsi le ridicule qui le poursuivait de toute part.