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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

au maréchal ; mais je cherchais à l’inquiéter sur le résultat probable des soins qu’il se donnait.

Tantôt il nous racontait que telle dame de madame la Dauphine lui demandait d’emmener son fils, que tel aide de camp du Roi voulait faire la campagne avec lui, etc. Enfin son succès lui paraissait assuré, l’expédition était décidée, son état-major tout composé ; il ne manquait plus que l’insertion au Moniteur du nom du chef ; mais cette insertion n’arrivait pas.

Je me rappelle, un samedi soir, lui avoir dit : « Prenez garde, monsieur le maréchal, ne vous avancez pas trop, vous pourriez bien être joué par monsieur de Bourmont. »

Il m’accusa de prévention contre un homme calomnié, plein de loyauté au fond. Il en prenait à témoin sa conduite envers lui. Je souris avec incrédulité.

« Eh bien ! que direz-vous, si je suis nommé demain, et que le Roi l’annonce au sortir de la messe ?

— Je dirai que je suis enchantée de m’être trompée, mais je ne l’espère pas.

— Eh bien ! si je vous apporte la lettre de commandement, serez-vous plus incrédule que saint Thomas ? »

Le Roi ne dit rien ni le dimanche, ni le lundi, ni le mardi ; ces mêmes jours se passèrent sans que la lettre arrivât. Monsieur de Bourmont caressait toujours le maréchal, mais monsieur de Polignac, un peu moins faux, commençait à s’en éloigner. Il se décida enfin à aller trouver le ministre de la guerre et à lui représenter que la nomination du chef de l’expédition devenait urgente à son succès.

Le général en convint, puis il balbutia quelques paroles et finit par dire au maréchal combien il était désolé que monsieur le Dauphin exigeât absolument que ce fût lui, Bourmont, qui la commandât, son consentement étant à ce prix.