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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

le prédicament où il se trouvait lorsque les événements du mois de juillet lui firent un devoir de se sacrifier pour des principes qu’il détestait et des gens qu’il n’aimait guère.

La connaissance que j’avais de cette situation me fit trouver d’autant plus cruelle la fatalité qui le poursuivait, et, comme il se mêle apparemment toujours un peu d’enthousiasme dans les actions des femmes même de celles qui s’en croient le plus exemptes, je me pris à vouloir combattre le sort, et, pendant bien des mois, je pourrais dire des années, j’ai mis une véritable passion à ramener l’opinion à plus de justice envers le maréchal.

J’étais assistée dans cette œuvre par quelques amis sincères. Peut-être aurions-nous réussi ; mais lui-même, comme tous les gens à imagination, a trop de mobilité dans le caractère pour conserver longuement l’attitude austère et persévérante qui convient à un homme calomnié. Je ne le connaissais que sous des rapports de société assez intimes, mais où l’esprit joue le plus grand rôle, et il en a beaucoup. Il faut y ajouter un grand fond de bonhomie et même, je crois l’avoir déjà dit, de candeur qui le rend fort attachant ; mais il est incapable de la conduite suivie qui peut faire tomber les attaques et prouver leur injustice en les repoussant avec cette froide dignité, seule défense d’un grand caractère.

J’ai été contrainte de m’avouer que le maréchal apportait lui-même plus d’obstacle à ma chevaleresque entreprise que qui que ce soit, et, comme au fond il faut servir ses amis ainsi qu’ils veulent l’être, en conservant une très tendre amitié pour lui, je me suis résignée à lui laisser gaspiller un reste d’existence que j’aurais désiré voir rendre utile à notre pays.

Je reviens à 1830.