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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

La saison était fort rigoureuse et les souffrances du peuple en proportion. La charité publique cherchait à les égaler. On imagina pour la première fois de donner un bal à l’Opéra, à un louis par billet, appelant ainsi le luxe au service de la misère.

Les dames de la Cour et de la ville s’occupèrent également de cette bonne œuvre qui réussit parfaitement et rapporta une somme très considérable. Les habitants des Tuileries y avaient les premiers contribué, mais personne ne parut dans la loge réservée pour eux. Celle du Palais-Royal, au contraire, était occupée par toute la famille d’Orléans.

Monsieur le duc d’Orléans et son fils descendirent dans le bal. Monsieur le duc de Chartres y dansa plusieurs contre-danses. Cette condescendance eut grand succès et rendit plus remarquable la solitude de la loge royale qui restait la seule vide dans toute la salle. C’est avec toutes ces petites circonstances que les Orléans conquéraient la popularité que les autres repoussaient tout en la souhaitant.

J’ai, en général, peu de curiosité à voir les cérémonies où la foule se porte, mais les circonstances avaient rendu l’ouverture de la session si importante que je voulus assister à la séance royale. Elle se tenait au Louvre et les détails de cette matinée me sont restés dans la mémoire.

La duchesse de Duras, dont j’ai si souvent parlé, avait succombé à un état de souffrance qui l’avait longtemps fait qualifier de malade imaginaire et lassé surtout la patience de son mari. Il venait d’épouser en secondes noces une espèce de suisso-anglo-portugaise, sortant de je ne sais où, qui avait acheté le titre de duchesse et le nom de Duras d’une assez grande fortune. Elle fournissait à son mari l’occasion de s’écrier naïvement,