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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome III 1922.djvu/23

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MESDAMES DE MONTCALM ET DE JUMILHAC

J’ai toujours attribué à cette circonstance la préférence marquée que monsieur de Richelieu lui accordait sur sa sœur, madame de Jumilhac, qui promenait son épouvantable figure sans le moindre embarras à travers toutes les foules et toutes les fêtes. Un esprit extrêmement piquant, une imperturbable gaieté, un entrain naturel que je n’ai vu à personne autant qu’à elle, la faisaient rechercher de tout ce qu’il y avait de plus élégant dans la meilleure compagnie.

Il n’y avait pas de bonne fête sans madame de Jumilhac. Elle était très à la mode et, chose bien bizarre, malgré sa figure, c’était le but et l’ambition de toute sa vie.

Madame de Montcalm, avec un esprit beaucoup plus cultivé, était, à mon sens, bien moins aimable que sa sœur. Fort exigeante, elle voulait, avant tout, être admirée de gens capables d’apprécier un mérite qu’elle croyait transcendant. L’autre ne pensait qu’à s’amuser avec les premiers venus.

Peut-être suis-je partiale dans mon jugement des deux sœurs. J’étais fort liée avec la cadette ; il m’était difficile de rester neutre entre elles. En ayant réciproquement l’une pour l’autre les procédés les plus nobles, les plus délicats dans les circonstances importantes, elles se taquinaient et se chagrinaient si constamment dans tous les petits détails de la vie journalière qu’elles en étaient venues à se détester cordialement. Les personnes de leur intimité se trouvaient nécessairement influencées et conduites à prendre parti.

Quoiqu’il en soit, monsieur de Richelieu accordait une préférence marquée à madame de Montcalm. Il passait chez elle la plus grande partie de ses soirées, ce qui lui facilitait le moyen d’attirer autour de sa chaise longue toutes les notabilités françaises et étrangères.