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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

poirs de madame Bertrand, pour deux sols, pour deux sols, sans que cela fit plus d’effet dans les rues que l’annonce d’un chien perdu.

Je me rappelle encore combien nous fûmes frappées, quelques personnes un peu plus réfléchissantes, de cette singulière indifférence ; combien nous répétâmes : « Vanité des vanités et tout est vanité ! » Et pourtant la gloire est quelque chose, car elle a repris son niveau, et des siècles d’admiration vengeront l’empereur Napoléon de ce moment d’oubli.

Je ne puis donner des détails particuliers sur les temps de son exil. Ils ne me sont arrivés que par des séides ou des détracteurs. J’ai connu quelques-unes des personnes qui l’ont accompagné, mais elles voulaient tirer parti de leurs paroles. Gourgaud prétendait vendre ses révélations, Bertrand exploiter sa fidélité. Ni l’un ni l’autre ne méritaient de confiance dans leurs récits. Encore moins pouvait-on se fier à ceux de sir Hudson Lowe qui, accablé du poids de sa responsabilité, avait compris sa mission fort gauchement. Il tracassait l’Empereur dans les détails et lui cédait dans les choses essentielles.

S’il était possible de se faire une idée un peu juste sur l’ensemble de son existence à Sainte-Hélène, il me semble qu’elle a été composée de grandeur dans les souvenirs dont ses belles dictées font foi, et de petitesses dans les actions dont la correspondance avec sir Hudson Lowe fait aussi témoignage.

Au surplus, l’Empereur avait ce caractère de l’omnipotence que, même au sommet de sa gloire et occupé à culbuter les empires, il trouvait encore le temps d’entrer avec chaleur dans des détails qu’un simple particulier aurait négligés sans scrupule. La puissance de Dieu soigne l’aile du moucheron. Peut-être ce que notre