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MORT DU DUC DE RICHELIEU

s’engager. Monsieur Pasquier n’était mu que par le sentiment d’un bon citoyen, inquiet pour le pays, et par une raisonnable ambition. Peiné de se voir arrêté dans sa carrière, il n’y avait rien d’amer dans ses impressions.

Il en était autrement du duc de Richelieu : la conduite des princes l’avait ulcéré jusqu’au fond du cœur. Il était blessé de leur ingratitude de toute la profondeur du dévouement qu’il leur avait porté et, quoique bien dégrisé de ce culte, ses vieux souvenirs le rendaient plus susceptible à leurs procédés. Le duc de Richelieu, grand veneur et premier gentilhomme de la chambre, continuait à aller parfois déjeuner au château ; il y était toujours très froidement accueilli.

Madame la duchesse d’Angoulême venait d’acquérir Villeneuve-l’Étang. Elle était fort en train de cette nouvelle propriété et se faisait apporter de la crème de chez elle. On la mettait dans un petit pot auprès de la princesse qui en donnait à quelques personnes. C’était une faveur. Un jour, elle affecta d’en offrir à travers la table, à droite et à gauche du duc de Richelieu, d’une manière si marquante que l’exclusion devenait une offense.

J’ai entendu le duc de Richelieu raconter lui-même cette futile circonstance, avec cette teinte d’ironie qui part d’un profond chagrin, accompagné de dédain. Il s’en voulait à lui-même d’être sensible à de telles misères, mais son vieux sang de courtisan prenait le dessus de sa raison, et, au fond, il y avait une intention d’insulte cachée, sous ces formes désobligeantes, dont il avait raison d’être courroucé.

C’est dans ces dispositions qu’il eut lieu de soupçonner un homme qu’il avait comblé, auquel il était fort attaché et qui avait toute sa confiance, d’une action qui, en terme judiciaire, s’appelle un vol. Cette découverte le bouleversa. Il ne voulut pas l’approfondir. Avant de