Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
chap. 11e.
285
DES RÉCOLTES.— PRÉCAUTIONS GÉNÉRALES.


lemens qui doivent assurer la prospérité nationale par une augmentation de produits égale aux besoins de la population croissante. Tandis que les bonnes terres et toutes celles que leur position rend d’une culture facile et productive, doivent progressivement être sillonnées par la charrue, les sols ingrats ou éloignés de la consommation peuvent se couvrir de grands végétaux ligneux. Ici le bois fait place au blé ; là, les landes les plus arides, les dunes mouvantes, les craies et les sables inféconds que fatiguent à de longs intervalles de chétives récoltes de sarrasin ou de pommes-de-terre, disparaissent abrités sous l’épaisse verdure des semis de pins ; et l’imagination, naguère attristée de l’insuffisance des travaux du cultivateur pour lutter contre une nature ingrate, peut désormais se reposer sur d’utiles produits et prévoir le temps où nos neveux, détruisant à propos des travaux dont ils méconnaîtront peut-être la bienfaisante origine, retrouveront à ces mêmes places des champs d’une riche et longue fécondité.

Oscar Leclerc-Thouin.

CHAPITRE XI. — Des récoltes.

Ce n’est pas tout de vaincre, il faut savoir profiter de la victoire ; de même, en agriculture, ce n’est pas tout de savoir bien cultiver, il faut savoir bien récolter. La moindre négligence dans cette circonstance peut amener des résultats désastreux pour la qualité et la quantité des produits. Nous ne ferons connaître ici que des données générales, réservant pour la culture des plantes ce qui est particulier à chacune d’elles. Nous diviserons ce chapitre en plusieurs sections qui sont : 1o Précautions générales ; 2o Récoltes des fourrages ; 3o Récoltes des granifères, ou moissons ; 4o Récoltes des racines.


Section 1re. — Précautions générales.

Ne remettre jamais au lendemain ce que l’on peut faire le jour même, c’est un principe d’économie qui est vrai dans tous les temps, mais surtout à l’époque des récoltes.

On commencera donc par s’assurer du nombre de bras nécessaire pour que tous les travaux s’exécutent en temps opportun. L’expérience est le guide qu’il faut surtout consulter, car il y a également à perdre si l’on emploie trop ou trop peu de monde. Dans le premier cas, les opérations s’embarrassent par leur multiplicité ; la surveillance est incomplète et difficile en raison des points différens où elle s’exerce ; il en résulte ordinairement tumulte, désordre, gaspillage. Dans le second cas, les travaux languissent, les produits acquièrent un degré de maturité qui en diminue la quantité et en déprécie la valeur.

Il faut aussi que le nombre des chevaux, des domestiques, soit en rapport avec celui des journaliers. Lorsque l’économie et l’administration d’une ferme exigent qu’à cette époque on tienne un valet de plus qu’à l’ordinaire, il ne faut pas reculer devant cette dépense. Dans certains pays on les nomme calvaniers. Ordinairement on ne les paie point en argent, mais en denrées dont on détermine auparavant la quantité. Au choix du calvanier doit présider la même circonspection qu’à celui des autres domestiques. Beaucoup de cultivateurs prudens ont à cœur d’avoir toujours les mêmes calvaniers. Les deux parties y gagnent : l’exploitant, parce qu’il n’a plus à faire l’étude de caractères nouveaux, et que ces valets, déjà au fait de la besogne, perdent moins de temps à prendre les habitudes de l’exploitation ; le calvanier y gagne également, parce qu’il n’a pas à s’inquiéter ou il trouvera du travail.

Toutes les dispositions étant prises sous ce rapport, on portera son attention sur le matériel. On aura soin que les granges, les gerbières, les fenils ou fointiers soient propres et déblayés de tout ce qui peut les embarrasser. Les toitures auront été scrupuleusement visitées et réparées, les murs bien crépis. Une précaution indispensable serait de boucher tous les trous, toutes les fissures où les souris et les rats peuvent se réfugier et en faire le centre de leurs dégâts.

Il ne faudra pas attendre non plus le moment de la récolte pour mettre les chariots et les autres véhicules en état de faire un service régulier, et de supporter des charges assez pesantes. On éprouve toujours de grandes pertes en instrumens, en grains, et de plus grandes pertes encore d’un temps précieux, lorsqu’au milieu du chemin un char se brise ou verse.

Pour éviter ces inconvéniens, on se trouvera bien de faire quelques réparations aux chemins les plus fréquentés. C’est une dépense qui se retrouve toujours au centuple, non seulement parce qu’elle empêche les instrumens de se détériorer, mais encore parce qu’elle conserve la force et la santé des animaux. Dans les pièces entourées de fossés ou sillonnées de tranchées ouvertes, soit pour le défrichement, soit pour l’irrigation, on transportera des ponts mobiles pour donner passage aux voitures. Ces ponts volans et temporaires sont faits en forts madriers. Ils sont bien préférables aux broussailles dont on se sert dans le même cas pour combler les fossés. Des ponceaux en pierres seraient plus durables, mais ils ont l’inconvénient d’exiger plus de dépenses, et de faire perdre à la clôture une partie de ses avantages.

Dans les pays où la moisson se fait par des étrangers, on leur préparera une couche commode. Il est vraiment affligeant de voir des moissonneurs épuisés de fatigues, entassés le soir dans des granges, dans des greniers où ils peuvent à peine prendre quelques heures de sommeil. Les ouvriers sont plus sensibles qu’on ne le pense aux bons procédés, et ils récompensent toujours ceux